1976, Jeux Olympiques de Montréal la jeune Roumaine de 14 ans Nadia Comaneci s’envole aux barres asymétriques et réussit un exploit. Elle obtient la note de 10, une note qui n’avait même pas été imaginée dans les algorithmes des ordinateurs, qui affichent, sous le regard ébahi des spectateurs 1.00 ! Et elle obtient six fois cette note aux différentes épreuves de gymnastique. Devenu le symbole de la perfection, son corps exposé en mondovision, ne lui appartient plus. Son entraîneur Béla Károly s’en était déjà emparé, surveillant de très près son régime alimentaire pour faire d’elle une championne exceptionnelle, le gouvernement communiste des époux Ceaucescu la propulse icône du socialisme roumain avant de contrôler soigneusement tous ses déplacements et le fils du dictateur s’en est emparé en en faisant sa maîtresse. Quand elle fuit vers les États-Unis en 1989, quelques mois avant la chute des Ceaucescu, ce sont les media qui vont écrire pour elle son histoire. D’enfant modèle du communisme on la transforme en modèle de la femme convertie au libéralisme. Elle va alors elle-même contribuer à cette réécriture, soucieuse que le réel n’altère pas la légende.

Anne-Sophie Mercier, journaliste au Canard Enchaîné, s’est penchée sur l’histoire de Nadia Comaneci. Mais plutôt que d’en faire un simple biopic elle s’est intéressée à ce point où l’intime a rencontré le politique, où le corps d’une petite fille qui s’est élancé vers les barres asymétriques est devenu une légende et lui a été confisqué. Pendant qu’elle devenait une légende, le monde changeait, le Mur de Berlin tombait, les Ceaucescu étaient exécutés, le Bloc de l’Est se libérait et le libéralisme gagnait. Comment pouvait-elle continuer à vivre normalement quand, dès l’enfance, elle était devenue le symbole d’une époque ?

La mise en scène de Pascal Reverte, qui a aussi contribué à l’écriture du texte, passe habilement, avec tendresse et humour, de l’histoire de Nadia à l’Histoire. Nadia parle, prenant et reprenant au cours du récit ce qu’on lui avait fait dire « J’ai commencé à courir vers les barres asymétriques », la vidéo passe et repasse les dix-neuf secondes et soixante-six centièmes de sa prestation parfaite. Les téléphones des grands de ce monde sonnent dans tous les coins et pourquoi pas Poutine au bout du fil ! Bernard Laporte au comble de l’énervement la donne en exemple à ses joueurs qui se plaignent de leur fatigue à la fin d’une piètre prestation. Sur scène s’étalent les objets qui réveillent les souvenirs, photos des Ceaucescu, poupées, médailles, etc. Et en écho, on entend régulièrement Hôtel California, le grand tube sorti en 1976 qu’avait probablement entendu Nadia Comaneci. Mais à l’image des souvenirs qui se transforment, on en entend des versions différentes, créées par Antoine Sahler pour l’occasion.

Elizabeth Mazev incarne cette Nadia, désormais enfermée dans son corps de femme, mais qui ne cesse de se replonger dans son passé, le souvenir de ce moment de grâce que fut son exploit. Autour d’elle quatre acteurs vont aussi se souvenir et enchaînent tous les rôles, le père et la mère de Nadia, son frère Adrian (excellent et drôle Olivier Broche), son entraîneur, les époux Ceaucescu et même les journalistes qui la harcèlent à son arrivée aux États-Unis.

Un spectacle pensé avec intelligence et joué au cordeau pour réfléchir à ce que la célébrité fait à une enfant et au poids des souvenirs pour recréer une vie.

Micheline Rousselet

Jusqu’au 30 mars au Théâtre de La Reine Blanche, 2bis passage Ruelle, 75018 Paris – mercredi, jeudi et vendredi à 19h, samedi à 18h, dimanche à 16h – Réservations : 01 40 05 06 96 ou reservation@scenesblanches.com

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