Que faire quand tout s’écroule autour de soi ? En principe, on cherche un salut quel qu’il soit. Mais, s’il s’agit du monde de l’entreprise, avec son ordre, ses objectifs de travail et d’efficacité, ses hiérarchies? Un tel ordre ne peut être sauvé de l’extérieur (celui d’une l’âpre concurrence) ; soit il s’écroule, soit il tente de résister, s’il le faut, jusqu’à la mise en folie de sa rationalité. Le système peut-il au moins apprendre de ses échecs ? Toujours est-il qu’en l’état, une simple tâche jaune peut devenir le signe de l’irréparable… 

Pierre Notte, l’auteur, semble avoir bien connu de l’intérieur ce genre d’univers construits sur des mécanismes aux rouages compliqués, donc fragiles ! Il nous raconte de façon aussi édifiante qu’hilarante la destruction en cascade des rapports de pouvoir au sein d’une entreprise de construction. Nous assistons en temps réel au déraillement comportemental d’une cadre dirigeante et de son assistant, seuls survivants au 7e étage, d’une catastrophe soudaine. Dans une mise en scène minimaliste, le même Pierre Notte met à nu et subvertit la réalité formelle et mortelle des procédures de travail, et donc d’aliénation, d’un ordre trop sûr de lui. La caricature peut révéler les traits les plus fins d’une physionomie. Ici, poussée à l’extrême, elle devient vivisection des rapports hiérarchiques, aussi cruelle que burlesque. On rit, mais c’est grave car cela nous concerne ! On pense à une tragi-comédie, mais c’est plutôt une comédie tragique. Les personnages, parfois robots, parfois enfants, en proie à une folie allant crescendo n’ont pas d’issue et devront aller au bout de l’absurdité réaliste de la situation, jusqu’à se figer en statues baroques…

Il faut saluer la performance des deux comédiens, Caroline Marchetti et Franck Duarte qui jouent à merveille ces êtres exposés au chaos tentant, dans une angoisse contenue, de se raccrocher à des repères dérisoires. Magnifique. Hypnotique. Leur gestuelle, leurs déplacements sont une chorégraphie de l’accident terminal imminent, une danse contrainte au bord du gouffre.

La scénographie est d’une efficacité redoutable. Dans l’espace clos d’un cube noir exposé à une lumière sans ombres, un carré infernal, dessiné par des marquages au sol que nous connaissons tous désormais, canalise strictement les mouvements. Une fausse diagonale nous réserve un pur moment de grâce. Pourrait-il sauver nos deux survivants condamnés l’un à l’autre ?

La pièce est de 2014, mais notre réalité de crise climatique et pandémique, les confinements, les restrictions et les scénarios catastrophes que la collapsologie échafaude pour des effondrements possibles à venir, lui donnent une actualité criante. Merci à ce théâtre qui sait nous tendre un miroir grossissant et hilarant de notre époque si incertaine, nous proposer une lecture du monde aussi intelligente que dérangeante.

N’est-il pas temps, d’apprendre des échecs d’un système qui, avec notre complicité, nous mécanise, amenuise, ridiculise pour finir par nous mettre dans la mouise ?

Jean-Pierre Haddad

Jusqu’au 27 novembre, aux Déchargeurs, 3 rue des Déchargeurs 75001 Paris – Du mercredi au samedi à 19h. Infos et réservations au 01 42 36 00 02 ou https://www.lesdechargeurs.fr


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