Théâtre : Pavillon noir

Quand on voit le pavillon noir avec sa tête de mort et ses tibias croisés, les pirates ne sont pas loin avec leur cortège de rapines et d’assassinats. Derrière l’image d’Épinal véhiculée par le cinéma, les historiens ont montré une réalité plus complexe, un mode d’organisation qui pouvait être assez égalitaire, avec un capitaine élu et révocable et une distribution du butin débattue. Aujourd’hui c’est de piratage informatique que l’on nous parle. Et si ce piratage était lui aussi plus complexe que l’image qui en est proposée dans les media ? On a parfois présenté le net comme un outil démocratique où tout le monde, et pas seulement les experts et les hommes de pouvoir, pourraient se faire entendre, un outil qui offrirait un accès à la culture pour tous. Le problème est que le net s’apparente de plus en plus à Big Brother. Les Google, Amazon et autres Facebook connaissent tout de nous, nos goûts, nos préférences sexuelles, nos loisirs, les lieux que nous fréquentons. Des figures se lèvent pour s’opposer à cette dérive, des lanceurs d’alerte comme Edward Snowden, qui a révélé les détails de plusieurs programmes de surveillance de masse américains et britanniques ou Chelsea Manning, l’ancien analyste militaire américain qui a fait fuiter des documents classifiés fournissant des révélations sur l’intervention américaine en Irak et sur la prison d’Abou Ghraib.

Aaron Schwartz un jeune génie de l’informatique, fervent partisan de la liberté numérique et de la culture libre, qui a mis en ligne des millions d’articles scientifiques pour les mettre à la disposition de tous les étudiants, a été poursuivi par le Procureur du Massachusetts et a préféré se suicider pour échapper à la longue peine de prison qui lui était promise.

Théâtre : Pavillon noir
Théâtre : Pavillon noir

C’est de ce sujet que s’est emparé le Collectif OS’O, qui nous avait séduit dans sa précédente création Timon/Titus sur la question « Doit-on payer ses dettes ? ». Les sept comédiens se sont associés cette fois au collectif Traverses, sept auteurs formés dans les écoles supérieures d’art dramatique qui écrivent en ayant un rapport étroit avec la pratique théâtrale. C’est sans envahir le plateau d’outils technologiques mais par la parole et le langage du corps, que le Collectif OS’O va faire passer l’idée de cet envahissement de nos vies par une surveillance technologique plus ou moins consentie, dont nous n’avons pas toujours conscience et évoquer les ripostes qui tentent de s’organiser. Des histoires plus ou moins inspirées de la réalité comme l’affaire de Tarnac (des jeunes autonomes ont été surveillés par les Renseignements Généraux pendant des années, soupçonnés de sabotages de lignes SNCF sans qu’on n’ait jamais rien trouvé contre eux) ou l’exfiltration d’une hackeuse utopiste – avec faux papiers, piratage de comptes, recours aux bitcoins pour financer l’opération – alternent avec des moments plus clownesques très réussis. Ainsi deux jeunes geek en costumes très colorés présentent des « tutos » fantaisistes et dénoncent les usages abusifs de l’internet avant de conclure «n’hésitez pas à liker » ! Merveilleuse illustration de nos contradictions.

On peut leur reprocher que, à vouloir évoquer trop de thèmes, ils égarent un peu le spectateur. Est-ce lié à l’écriture collective ? Toujours est-il que l’ensemble gagnerait à être recentré. Mais c’est un reproche mineur car sur ce sujet qui semble abstrait ils réussissent à faire quelque chose de très théâtral. La mise en scène nous conduit de lieux très réalistes, le salon des jeunes autonomes par exemple, à des rencontres plus virtuelles, du procès d’un pirate, couvert par un journaliste en doudoune qui s’est fait la tête de PPDA, à la fuite éperdue de la hackeuse utopiste. Cela va vite, on passe du sérieux au comique et les comédiens ne nous lâchent jamais. La distribution est un peu inégale, mais il y a chez ces jeunes acteurs une énergie et une inventivité formidables. On a envie de les suivre dans leurs mises en garde contre la perte de souveraineté liée au développement de l’internet et dans leur appel à construire les outils pour la reprendre.

Micheline Rousselet

Du mardi au vendredi à 20h, le samedi à 19h, relâche le lundi

TnBA-Théâtre du Port de la Lune

Place Renaudel, Bordeaux

Réservations 05 56 33 36 80

En tournée ensuite : Rouen, Tours, Valenciennes, Brive, Saint-Ouen etc.

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