Après avoir joué tant de textes écrits par d’autres, Bruno Abraham-Kremer, dont chacun de nous garde le souvenir dans une pièce ou un film – pour moi ce fut Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran puis plus tard La promesse de l’aube – se raconte. Au chevet de son père en fin de vie, qui n’a jamais compris son désir de jouer et s’y est toujours fortement opposé, il livre les émotions qui l’ont conduit à monter sur les planches. Sa découverte à 5 ans qu’il est un enfant juif, « un miracle », son enfance où, confié à son père, il souffre de la solitude et s’imagine héros de western et jouant tous les rôles, sa découverte du théâtre à La Cartoucherie de Vincennes avec L’âge d’or, tout cela va nourrir son envie de devenir acteur, qui va d’autant plus s’affirmer qu’il se heurte au refus de son père. Pas de soutien du côté des ses parents. Son père veut qu’il fasse du droit et lui dit « je n’entretiens ni les clochards, ni les drogués, ni les homosexuels » ! Quant à sa mère elle lui rappelle sans cesse que ses ancêtres n’ont pas fait tout ce chemin jusqu’à Paris pour qu’il renonce à ses études. Sa décision est prise, après tout sera affaire de ténacité, de rencontres heureuses et de talent.

D’une plume alerte qui fait la part belle à la joie de jouer, Bruno Abraham-Kremer raconte son chemin vers la liberté où la parole de Rabbi Nahman « Parle, envole-toi ! Les mots sont tes ailes » lui tient lieu de talisman. La mise en scène, signée par lui et Corine Juresco, place le personnage sur un plateau nu avec comme seul partenaire un banc, qui devient cheval se cabrant à l’occasion dans le jeu de l’enfant. Des bruits d’ambiance, quelques notes de Riders on the storm, le début de My yiddishe Mama, qu’il chante, nous accompagne sur son chemin où ce sont les mots qui comptent.

Le comédien se fait touchant en enfant découvrant sa judéité dans la grande Synagogue de Budapest, touchés par les croyants âgés qui, pour eux qui ont perdu leurs enfants, voient en lui un petit « miracle ». Il est ce jeune homme, blessé par les paroles de son père et excédé par les litanies de sa mère, qui trouve sa liberté avec le théâtre. Il a vite compris qu’être comédien c’est s’inventer d’autres vies et on rit avec lui de ses premières expériences dans les bars de Pigalle, où il cache son âge, ou à la fac de droit de Nice où, pour échapper à la vindicte d’étudiants corses antisémites, il s’invente une judaïté corse et se rebaptise Cremerini.

Le comédien raconte avec verve et vivacité son parcours et sa lutte acharnée pour devenir le comédien dont il rêvait. De stages parfois fantaisistes en spectacles de rue puis dans des petites troupes et enfin, la chance aidant, grâce à des rencontres comme celle de Yoshi Oida puis de Peter Brook, on le voit devenir ce grand acteur qui peut, à la toute fin, espérer se réconcilier avec son père. Il est drôle et émouvant, il est jeune comme l’enfant ou l’étudiant qu’il fut ou mûr comme l’homme qu’il est face à son père vieilli. Il est un superbe acteur.

Micheline Rousselet

Jusqu’au 15 octobre au Théâtre du Lucernaire, 53 rue Notre-Dame-des-Champs, 75006 Paris – du mardi au samedi à 21h, le dimanche à 17h30 – Réservations : 01 45 44 57 34 ou www.lucernaire.fr


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