Helen et Danny se préparent pour un dîner en amoureux quand surgit le frère d’Helen, Liam, couvert de sang. Il se lance dans des explications confuses, glisse d’un morceau de vérité à un autre et ne cesse de se contredire. De mensonges en demi-vérités, le passé se révèle lui aussi, celui de deux laissés-pour compte à la Ken Loach, sauf que le présent de ceux-ci sombre dans la violence et les petites lâchetés qui vont tout miner.

L’auteur de la pièce, Denis Kelly, est considéré comme un des meilleurs dramaturges britanniques actuels et ses pièces ont été traduites et jouées en France comme dans le monde entier. Avec une langue du quotidien et des dialogues ciselés, il amène au plateau des être en rupture avec la société, habités par un sentiment d’échec et porteurs de violence.

Sophie Lebrun et Martin Legros ont choisi de mettre en scène Orphelins dans un dispositif tri-frontal avec une jauge qui ne doit pas excéder cent spectateurs. Ceux-ci sont dans une si grande proximité avec les acteurs qu’aucune parole, aucune expression ne peut leur échapper et qu’ils se sentent projetés, presque sans filtre, dans ce « thriller social » ainsi que le caractérisent les deux metteurs en scène. Ces derniers permettent tout de même aux spectateurs de prendre un peu de distance avec des petits moments de respiration et d’humour, grâce à la présence au plateau d’une narratrice (Loreleï Vauclin) commandant sur son ordinateur des bruits et lisant les didascalies.

Le jeu des acteurs cueille le spectateur et le projette au cœur de ce huis-clos comme s’il devait prendre parti. Martin Legros offre un portrait spectaculaire de Liam, tout en excès. Il s’agite, se verse une bouteille d’eau sur le visage en guise de larmes, plisse les yeux comme à la recherche de ce qui s’est vraiment passé, se perd dans ses explications, invente des excuses au fil de l’eau, fuit la réponse aux questions qu’on lui pose, nie son racisme, ment, se contredit. Faible et influençable, il est pitoyable tout autant qu’inexcusable dans sa violence, même si l’on prend en compte son passé. Sophie Lebrun (en alternance avec Céline Ohrel) offre un portrait tout en complexité d’Helen, prête à tout pour défendre son frère, lui cherchant toutes les excuses fusse aux dépens d’autres victimes, qui, après tout, ne sont pas de sa famille ! Peu à peu celle qui semblait exemplaire révèle elle aussi ses failles. Avoir, comme son frère, été élevée en famille d’accueil ne va pas sans laisser de traces. Enfin Julien Girard est Danny, celui qui tout en essayant de freiner l’engrenage sordide de ce fait-divers finira par s’y trouver entraîné, plaçant tout le monde devant un choix amer.

On pense au monde de Ken Loach avec ses injustices, ses exclus, toujours menacés par la police et les institutions, mais il y a chez Denis Kelly quelque chose de beaucoup plus noir qui frappe au cœur.

Micheline Rousselet

Jusqu’au 28 décembre au Théâtre de Belleville, 16 Passage Piver, 75011 Paris – Lundi à 19h, mardi à 21h15, dimanche à 17h30, les 26,27 et 28 décembre à 19h – Réservations : 01 48 06 72 34 ou theatredebelleville.com – Tournée : 6 février 2024 au Théâtre Charles Dullin au Grand Quevilly

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