Bernard Levy met en scène la pièce de Dario Fo , prix Nobel de littérature en 1977, et de Franca Rame. Ils se sont spécialisés dans une écriture de théâtre militant en usant de la farce pour dénoncer les dérives de la société de consommation et les rapports de classe qui font des ouvriers les éternels perdants du système. Écrite en 1974 et traduite sous le titre Faut pas payer !, Dario Fo a réactualisé la pièce en 1991 et 2008 lors de la crise des subprimes. Dans la nouvelle traduction de Toni Cecchinato et Nicole Colchat, la pièce se nomme On ne paie pas ! On ne paie pas !

Alors que les prix flambent, dans un contexte de précarité et de pauvreté où les frigos se vident, Antonia comme d’autres femmes se révoltent et dévalisent un supermarché cachant les denrées volées comme elles peuvent.Tout un stratagème est alors mis en place par Antonia (formidable Anne-Élodie Sorlin dont l’énergie ne se dément pas). Elle entraîne la timorée Marghérita (excellente Flore Babled) dans une suite de stratagèmes rocambolesques afin d’échapper à la police et aux reproches de son mari Giovanni (Eddie Chignara formidable de présence, à la fois rustre et sensible), ouvrier syndicaliste communiste légaliste.

Par une mise à distance du drame, la situation qui pourrait tourner au tragique, est transformée en une construction burlesque et farcesque qui célèbre l’envie de vivre dans un grand moment de lutte joyeux qui rappellent le cinéma De Risi ou de Scola et même de Keaton et Chaplin. Un clin d’œil est également inséré à Jacques Tati mais aussi aux pièces de Feydeau. La machine infernale du jeu de chat et de souris avec la répression qui guette est hilarante. La rencontre avec les policiers est extraordinaire entre les courses poursuites des film de Chaplin et Le gendarme de Saint Tropez en même temps que les Dupont de Hergé. Les ruses mises en place pour y échapper sont un régal de folie jubilatoire dans une réalité pourtant désolante.

La mise en scène qui enchaîne les saynètes à un rythme sans temps mort est parfaitement réglée dans un décor d’appartement des années 50 (mais qui pourrait être actuel) tout de guingois comme le monde dans lequel se débattent ceux qui doivent survivre pour exister. Comme une partition on retrouve ce qui fait le sel des opérettes d’Offenbach. La mécanique burlesque fonctionne à plein régime tout en soulevant les questions de la situation ouvrière mais aussi celle de la place des femmes dans la société devant lutter deux fois plus au sein du monde du travail et du foyer dans lesquels les hommes règnent sans partage. Cette double lutte est très bien montrée dans la pièce, Antonia en est l’étendard dans une lutte à la fois sociale et féministe .

En deux heures cinq qui passent à allure grand V, ce moment théâtral intense se conclut sur la surimpression du groupe d’acteurs avec le tableau Le Quart État du peintre Giuseppe Pelliza da Volpedo (1868-1907) projeté en fond de scène. « Toutes ces figures de travailleurs, d’ouvriers, de paysans et de femmes qui s’avancent vers nous sont le Quatrième État, c’est-à-dire des soumis, des parias … en clair les habituels salariés » explique Giovanni. Dans l’histoire italienne, le tableau incarne l’espoir d’une société nouvelle portée par les travailleurs. S’il semble optimiste : le peuple avance avec une certaine assurance comme dans 1900 de Bertolucci, le discours des quatre personnages est, quant à lui, à la fois peu optimiste (« nous voilà nous : licenciés, expulsés, et sans futur ») mais pas désespérés car la lutte finit par ……PAYER.

Un spectacle burlesque d’une modernité incroyable à aller voir d’urgence.

Frédérique Moujart

Jusqu’au 18 mars, du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 16h au théâtre de la tempête. Cartoucherie. Route de Champ-de-Manoeuvre, Paris 12ème – Réservation : 0143 28 36 36 ou www.la-tempete.fr

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