Sous ce titre étrange, qui n’a rien de gratuit, on l’apprendra au cours du spectacle, se dévoile une autofiction où le comédien Éric Feldman évoque avec humour, insolence et émotion son origine et son parcours de vie. Enfant de parents qui, comme ses oncles et tantes, n’ont échappé à la déportation que parce qu’ils ont été des enfants cachés, il souhaite faire entendre les traumatismes qui subsistent pour ceux qui ont survécu ainsi que sur leur descendance, quand ils en ont eu une, puisque beaucoup ont choisi de ne pas en avoir. Avec la Shoah, ce ne sont pas seulement des millions d’hommes et de femmes qui sont partis en fumée, des enfants qui ne sont pas nés, mais aussi une culture et une langue, le yiddish.
Éric Feldman parle de lui, de ses névroses, de sa psychanalyse, du yoga, des auteurs auxquels il se réfère, comme Isaac Bashevis Singer ou Thomas Mann, mais aussi de son chat Milosh ou de Gérard Blitz, le fondateur du Club Med qui l’avait imaginé comme l’exact opposé des camps. Il parle aussi bien sûr de Hitler et de Freud. Cela pourrait être très déprimant, mais il le fait avec un humour qui, tout en n’empêchant pas la gravité, emporte les spectateurs. Ainsi de Hitler il dit que parmi les Dix Commandements il avait nettement préféré le sixième (tu honoreras ton père et ta mère), car il adorait sa mère, au cinquième (tu ne tueras point) !
Éric Feldman a beaucoup joué dans des pièces où la distribution était collégiale en particulier avec Joël Pommerat. C’est la première fois qu’il se lance dans un seul en scène écrit par lui-même et il le fait sur un sujet qui lui tenait à cœur. Olivier Veillon a choisi de le mettre en scène sur un plateau nu baigné d’une lumière douce et chaude. Le comédien est assis et se lance dans des confidences, que ponctuent des gags, où alternent une auto-analyse et des réflexions plus générales. Il parle, s’arrête comme si une idée venait perturber sa réflexion, se lance dans une digression avant de reprendre le fil de son propos. Il ne parle pas qu’avec ses mots, ses mains aussi disent beaucoup de choses. Il commence avec en fond sonore la musique de Petite fleur de Sydney Bechet qui a marqué l’après-guerre et le retour à la vie et termine sur une poignante chanson en yiddish.
Un spectacle plein d’émotion, grave et drôle à la fois, que tous les jeunes devraient voir pour ne pas oublier.
Micheline Rousselet
Jusqu’au 22 décembre au Théâtre du Rond-Point, 2bis, avenue Franklin D. Roosevelt, 75008 Paris – du mardi au vendredi à 20h, le samedi à 19h, le dimanche à 16h – Réservations : 01 44 95 98 21 ou theatredurondpoint.fr
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