
Oblomov enfermé dans son appartement ne quitte plus son lit. Criblé de dettes il ne répond plus à ses créanciers. Propriétaire terrien il ne s’occupe pas de son domaine, en attend juste les rentes en se plaignant que son gestionnaire le vole. Il a démissionné de son emploi. Ses amis se sont lassés d’attendre dans son antichambre. Il ne lui reste que Zakhar, un vieux domestique qu’il tyrannise, lui réclamant sa pantoufle, qui s’avère être au pied de son lit, une lettre, qu’il l’accuse d’avoir égarée et qu’il retrouve sous son oreiller. Il lui reproche de lui donner les demandes de ses créanciers toutes en même temps et, dans la seconde qui suit, les jette en disant que cela peut attendre.
Ce roman de Gontcharov devenu un classique de la littérature russe a fait d’Oblomov un personnage mythique au même titre que Don Juan. Qui est-il ? Un paresseux apathique, roi de la procrastination, ou un homme qui tient tête à une société industrieuse ? Un mélancolique qui préfère perdre la femme qu’il aime plutôt que d’être déçue quand elle l’abandonnera probablement faute d’avoir pu le changer ? Cousin de Bartleby, sa devise n’est pas « j’aimerais mieux pas » mais plutôt « cela peut attendre, on verra plus tard ».
LM Formentin a adapté le roman en s’en tenant à deux personnages, Oblomov et son valet. La mise en scène de Jacques Connort place en majesté un divan, celui que ne quitte pas Oblomov. Une cuvette au pied du divan, un fauteuil sur le côté pour Zakhar et en vrac, des feuilles, des pantoufles, des chiffons au sol. Oblomov ne s’éloigne guère de son divan, Zakhar se lève en maugréant silencieusement pour répondre aux demandes de son maître.
Alexandre Chapelon, dont c’est le premier rôle au théâtre, manque un peu de profondeur dans son interprétation. Son Oblomov a trop d’un enfant capricieux qui refuse de grandir. On attendrait davantage d’épaisseur pour ce personnage qui peut aussi être vu comme un homme qui refuse de se plier aux impératifs du monde moderne, le travail avec ses hiérarchies et la société avec son hypocrisie. Il devient pourtant touchant quand il déguise son valet en Olga et révèle qu’il a quitté cette femme aimée par peur d’être déçu car elle aurait espéré, forcément en pure perte, le changer. On peut espérer que le temps va permettre à l’acteur d’enrichir son interprétation.
Yvan Varco est un Zakhar magnifique. Il a moins de texte qu’ Oblomov mais son corps exprime tout. La lassitude face aux demandes incessantes et inutiles, l’agacement face à ce maître qui lui fait endosser toutes les conséquences de son apathie, la voix qui ne monte qu’une fois pour protester et enfin le rire partagé avec ce maître fantasque qui révèle une complicité tendre, en dépit de tout. Et quand, à la fin, Oblomov lui dit qu’il est fatigué et qu’il a froid et que Yvan Varco le couvre avant d’éteindre lentement les lumières, on est envahi par l’émotion.
Micheline Rousselet
Jusqu’au 22 mars au Théâtre de l’Essaïon, 6 rue Pierre-au-Lard, 75004 Paris – jeudi, vendredi et samedi à 21h – Réservations : 01 42 78 46 42 ou www.essaion.com
Des militants partagent ici des critiques littéraires, musicales, cinématographiques ou encore des échos des dernières expositions mais aussi des informations sur les mobilisations des professionnels du secteur artistique.
Des remarques, des suggestions ? Contactez nous à culture@snes.edu