Pourquoi toute apparition de la police dans les quartiers périphériques provoque-t-elle immanquablement la fuite des jeunes, à laquelle répond aussitôt la course de la police derrière eux ? Sonia Chiambretto s’est penchée sur la question dans un travail auprès des jeunes qu’elle a fait dans les quartiers, à Nanterre et à Marseille. Comme le mot émeute porte en lui l’idée de créer de l’émotion, elle s’est intéressée aussi à la question de l’amour et a écrit en 2021 deux textes Polices et Tu m’loves, points de départ d’Oasis love.
Dans cette pièce chorale, les voix se répondent, les injonctions, pour éviter les ennuis avec la police, ou pour être une « fille bien », se succèdent rapides, rythmées, le rap et la break-dance s’invitent. Par peur les jeunes vont fuir, pour échapper aux contrôles d’identité d’une police suspicieuse et agressive et la police se lance à leur trousse. Dans cette course-poursuite s’échangent des insultes qui enveniment la situation. « Qu’est-ce qui est juste, qu’est-ce qui ne l’est pas » ? L’autrice en dresse une liste, presque slammée, à laquelle en répond une autre. Dans le quartier « qu’est-ce qu’on peut faire et qu’est-ce qui est mal » ? Pour une fille, porter un short ou un tee-shirt trop court amène inéluctablement à se faire traiter de « pute ». Pour un garçon s’intéresser à telle fille est impossible. C’est la «sœur de, la cousine de, etc ». Territoire interdit, car les ragots ont vite fait de détruire une réputation. Sans parler du tabou de l’homosexualité. Les garçons discutent, agressent celui qu’ils pensent extérieur à leur territoire, observent les filles, les jaugent, les jugent. Celle qui refuse d’entrer dans le moule a mis des gants de boxe et ponctue son discours libérateur de « j’m’en bats les couilles » !
Il y a une part de sociologie dans le travail de Sonia Chiambretto. Sur les courses-poursuite de la police dans les quartiers, elle introduit de l’histoire. Dans l’assassinat à Paris de nombreux Algériens lors de la rafle d’octobre 1961, dans celui de Carlo Giuliani à Gênes lors des émeutes anti G8, dans l’assassinat d’un jeune Noir à Ferguson (États-Unis)), dans la mort d’Adama Traoré en 2016 ou celle de Zyed Benna et Bouna Traoré en 2005, on retrouve toujours cet engrenage mortifère, cette violence de la police, cette peur des jeunes qui fuient, ces morts et les émeutes qui suivent.
Mais si elle fait appel à l’histoire et à la sociologie, le travail de Sonia Chiambretto se veut résolument poétique. Elle interroge les enfants : ce serait quoi le policier idéal ? (Un enfant a répondu, et cela ne peut s’inventer, « une policière » !) Et si on trouvait une petite oasis de calme, ce serait quoi ? En tous les cas, il y a un palmier dans un coin et la voix de Dalida arrive inattendue « Mon histoire c’est l’histoire d’un amour…un amour éternel et banal ».
Une scénographie simple, avec des traits de néon soulignant des palanquées de boîtes aux lettres comme dans les tours des quartiers, des choix de mise en scène astucieux, avec des passages au noir découpant des chapitres, dont les titres s’inscrivent sur le mur du fond (Faire émeute, LHO ou quoi, Au secours, etc), des éclairages qui évoquent les lampadaires des cités ou les lumières bleues des gyrophares qui déclenchent la fuite des jeunes, il suffit de peu de choses pour nous projeter dans un grand ensemble de la périphérie.
Sonia Chiambretto a fait appel à sept acteurs et actrices choisis pour leur qualité de jeu mais aussi par le lien que chacun d’eux pouvait avoir avec les sujets de la pièce. Ils participent au projet depuis le début. Les « hands up, don’t shoot » suivis de « mains en l’air, ne tirez pas » deviennent, dans la bouche du franco-américain Lawrence Davis, ces injonctions que l’on retrouve à travers le monde lors des émeutes. L’écriture est rapide, vivante, les langues se frottent– « j’écris des langues françaises étrangères » dit l’autrice – la jeunesse vit avec passion et rêve. Un beau spectacle intelligent et généreux !
Micheline Rousselet
Jusqu’au 30 septembre au Théâtre Ouvert, 159 av. Gambetta, 75020 Paris- Lundi au samedi, horaires variables – Réservations : www.theatre-ouvert.com ou 01 42 55 55 50
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