Stéphane Braunschweig adapte pour la quatrième fois un texte du très inventif dramaturge norvégien Arne Lygre. Dans cette pièce se rencontrent, en six séquences assez brèves, une vingtaine de personnages qui n’ont pas de nom mais sont définis par leurs relations « une personne » « un.e ami.e », « une connaissance », « un.e ennemi.e », « un.e inconnu.e » indiqués au-dessus d’eux en lettres de néon. Comme pris dans le flux de la vie, des amitiés et des amours, les personnages entrent et sortent de la vie des uns et des autres, les positions relationnelles changent et les acteurs passent d’un personnage à un autre, d’ « ami » à « ennemi », d’un homme à une femme. Chacun dit « alors j’ai dit » puis « je pense » et on retrouve ce que l’habitude des relations sociales nous a appris depuis l’enfance, qu’il n’y a pas toujours coïncidence entre ce que l’on dit et ce que l’on pense. Ce peut être aussi un moyen pour les personnages de mettre à distance leurs affects comme s’ils se dissociaient de leur être en se regardant parler ou penser, Quant à leurs relations, elles sont vouées à être en général éphémères les personnages entrant et sortant du flux de l’existence des uns et des autres. Dans notre monde très individualiste ces relations sont en outre à double tranchant, l’autre étant vécu en même temps comme indispensable pour échapper à la solitude et comme une charge voire une menace éventuelle.
La pièce obéit à une construction rigoureuse allant de personnages qui sont dans des relations proches à des personnages aux relations de plus en plus distantes. Le plateau semble s’élargir et s’assombrir aussi au fur et à mesure de l’avancée des séquences. Les acteurs se déplacent dans une scène remplie d’eau, référence aux thèses du sociologue polono-britannique Zygmunt Bauman. En 1998 celui-ci avait choisi le terme de « société liquide » pour caractériser les sociétés contemporaines, où l’unique référence est l’individu intégré par son acte de consommation et où la société enjoint l’homme d’être libre et responsable sans lui assurer une certaine sécurité. Identité, statut, réussite ne sont plus définis qu’en termes de choix individuels, qui peuvent changer très rapidement, et les liens permanents entre hommes et femmes sont devenus impossibles. Les acteurs (Anne Cantineau, Virginie Colemyn, Cécile Coustillac, Glenn Marausse, Pierric Plathier, Chloé Réjon, Jean-Philippe Vidal) glissent sans transition et d’une façon extraordinairement fluide d’un personnage à l’autre. Une femme devient son propre mari une fois morte, une jeune femme suicidaire devient l’ambulancier qui la secoure.
On est surpris, bousculé par cette façon de parler de la solitude dans les sociétés actuelles. On voit un personnage dire j’ai besoin de lui et, l’instant d’après, ce ne sont pas des gens avec qui j’ai envie de passer du temps. Comme lui on a envie qu’on nous dise je t’aime mais on n’a pas envie de la charge qui va suivre. Ces personnages, ce pourrait être nous pour un moment.
Micheline Rousselet
Du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 15h
Odéon-Théâtre de l’Europe
Ateliers Berthier
1 rue André Suarès, 75017 Paris
Réservations : 01 44 85 40 40
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