Hymne à l’idée d’Europe, le beau texte lyrique de Laurent Gaudé trouve avec le musicien et metteur en scène Roland Auzet une représentation foisonnante d’images, de langues et de musique. On commence par un aspect peu démocratique de cette Europe quand le non au référendum sur le Traité de Lisbonne en 2005 se transforme en oui par un tour de passe-passe. Mais pour dépasser les inquiétudes et aller de l’avant un rappel de l’histoire s’impose. Laurent Gaudé la fait partir à Palerme le 12 janvier 1848 avec le mouvement insurrectionnel qui se répandra dans de nombreuses villes d’Europe. Suivent ensuite les trouées de lumière – le développement économique avec le charbon ou le train et le souffle de liberté de 1968 – mais aussi les aspects moins brillants – le développement du capitalisme avec ses laissés pour compte, l’accueil désastreux des migrants – et enfin les heures sombres – le colonialisme, le fascisme, la shoah et la guerre en Ukraine aujourd’hui.
Pour raconter cette Europe avec ses certitudes et ses doutes, ses désirs et ses inquiétudes, Roland Auzet a choisi de démultiplier les points de vue pour faire entendre les aspirations des peuples face au rêve d’Europe.
Sur scène des matelas, que l’on disperse ou empile comme le symbole d’un certain chaos mais aussi d’entraide possible, et un mur mobile, qui sépare mais que l’on peut aussi gravir et franchir et sur lequel on peut écrire les mots de la révolte ou les dates qui jalonnent l’histoire. Les musiques conçues par Roland Auzet, se répondent : textures sonores électro-acoustiques, créations originales où s’intercalent des chansons qui viennent en citations évoquant le combat des hommes pour la liberté, de Grândola Vila Morena à Bella Ciao en passant par l’Estaca de Lluis Llach sans oublier la grâce aérienne de la voix du contre-ténor brésilien Rodrigo Ferreira.
Douze comédiens, aussi performeurs, chanteurs et danseurs de diverses nationalités, s’interpellent, se répondent, évoquant parfois leur histoire personnelle dans leur langue. Quand le nom d’un « salaud » est évoqué (Heydrich ou Léopold II par exemple), le chœur qui les accompagne dit « crachez sur leur nom ». Une britannique, en jupe droite et chemisier, mène les interrogatoires d’un migrant, en se troublant de plus en plus, une chanteuse et danseuse allemande (Nina Dipla) se jette, accompagnée par batterie et guitare, dans un rock très punk. A la fin du spectacle, la parole est donnée brièvement à un grand témoin (sont passés ainsi au fil des représentations Susan Georges, François Hollande, Enrico Letta, Patrick Boucheron ou la chef de la représentation de la Commission Européenne)
Un spectacle d’une énergie folle pour se rappeler qu’il est temps de ne plus laisser l’Europe n’être qu’un champ de bataille et de compétition économique entre nations, pour se rappeler qu’elle est porteuse d’utopie. « Il est temps de dire ce que nous voulons être » (Roland Auzet)
Micheline Rousselet
Jusqu’au 29 mai au Théâtre de l’Atelier , Place Charles Dullin, 75018 Paris – du mercredi au samedi à 20h, le dimanche à 15h – Réservations : 01 46 06 49 24 ou theatre-atelier.com
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