Sur le plateau, un vrai couple, Jana Klein et Stéphane Schoukroun, raconte son histoire. Il est Juif séfarade. Quand ils se sont rencontrés il était sûr qu’elle était Juive ashkénaze, car le nom de Klein évoquait pour lui le film de Joseph Losey. Mais elle est seulement Allemande. Ils vivent ensemble depuis dix ans, ont une fille de neuf ans et ils veulent lui raconter leur histoire et lui dire d’où elle vient. Ils vont évoquer leur rencontre, lui raconter ce qui a émaillé leur vie commune, la mère Juive pour qui l’Allemande qu’épouse son fils est forcément ashkenaze, les clichés dont il est difficile de se débarrasser sur la culture de l’autre, les débats sur le prénom à choisir, sur la circoncision, etc. Heureusement c’est une fille ! La grande histoire ne peut que s’inviter avec le souvenir de l’holocauste et l’histoire familiale de Jana, un grand père soldat de la Wehrmacht et un autre résistant mort à Dachau. Jana a quitté l’Allemagne, mais Stéphane veut tout de suite aller à Berlin. Il y arrive avec ses clichés, la tenue du militant socialiste allemand, béret et veste de cuir et lui demande de chanter Lili Marlène. Elle dit qu’elle ne reconnaît rien, qu’elle n’a plus les codes. Elle cite Ingrid Caven « En tant qu’Allemand, on n’a pas à nous faire porter le poids de toute cette merde ».
Jana Klein et Stéphane Schoukroun ont écrit, mis en scène et jouent leur histoire. Avec le retour de l’antisémitisme ils souhaitent raconter à leur fille leur quête identitaire qui les fait voyager de la Seine Saint-Denis à Berlin et à Prague. Ils visitent leurs morts, font appel à des textes, aux images (le golem), à la musique. Une grande bâche de plastique froissée et pleine de plis recouvre le sol, écran trouble cachant des preuves à montrer à leur fille. Comme il faut aussi des images, ce seront les images brouillées de Jana filmée par Stéphane projetées sur un écran de plastique. Et quand ils s’interrogent sur les réponses à donner, ils font appel à deux intelligences artificielles, SIRI et ALEXA, incarnées dans une lampe. Comme on s’y attend ces IA sont capables de leur fournir les informations Wikipédia sur la Shoah, mais s’avèrent bien sûr incapables de répondre aux questions telles que « C’est quoi l’autre ? » et s’échappent dans les « Je ne peux pas vous aider ! ». Ils font surgir les monstres de l’histoire mais parlent aussi d’eux, de leur amour et construisent une image commune pour leur fille.
Se confronter à la mémoire c’est se demander ce qu’on retient de notre histoire, c’est aussi se confronter aux souvenirs de l’autre qui ne coïncident pas forcément. Les questions de l’identité et de l’acceptation de la culture de l’autre sont abordées ici avec beaucoup d’humour. C’est profond et plein de vie, c’est rythmé, on rit et on s’émeut en partageant leur histoire.
Micheline Rousselet
Du 9 au 21 novembre au Monfort Théâtre – 106 rue Brancion, 75015 Paris – Réservations : 01 56 08 33 88
Des militants partagent ici des critiques littéraires, musicales, cinématographiques ou encore des échos des dernières expositions mais aussi des informations sur les mobilisations des professionnels du secteur artistique.
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