Au tournant des années 2000, lorsqu’il apprend qu’il a un cancer, l’acteur et réalisateur Bernard Giraudeau, décédé en 2010, s’éloigne des scènes de théâtre et des plateaux de télévision, part dans des voyages lointains à la rencontre d’autres visages, d’autres vies, mais aussi de lui-même, et commence à écrire. Jean-Philippe Renaud, avec le concours de Laure Renaud, a adapté des textes issus de deux de ses écrits Les Dames de nage et son dernier livre Cher amour.

Le comédien nous emmène au Chili, le pays de son ami Osvaldo Torres qui lui a inspiré son documentaire Mon ami chilien, puis aux Philippines. On est loin de l’exotisme et des plages bordées de cocotiers. C’est à la rencontre d’hommes, de femmes et d’enfants qui se battent pour survivre dans les bordels de Manille ou sur la montagne de déchets que fouillent inlassablement de véritables fourmis humaines qu’il nous emmène. Lui-même se bat avec son corps qui le lâche, cherche à retenir le temps en restant vibrant face aux rencontres, à l’amour, à la vie. Un texte poétique où la mélancolie de la mort qui approche n’empêche pas l’élan de vie, où les voyages vers les autres se conjuguent au voyage intérieur et au dialogue avec la femme aimée.

La mise en scène de Marc Tourneboeuf ouvre avec délicatesse la porte à l’imaginaire du spectateur. Un lit, celui du malade qui souffre et adresse une merveilleuse déclaration d’amour à la dernière femme aimée, une table avec un globe terrestre, où on imagine Bernard Giraudeau écrivant et pensant à ses voyages, une petite carte murale du Chili puis des Philippines, un feu de camp dans un coin et des images vidéos tournées par le comédien lui-même des bordels de Manille à la Smoky Mountain. Comme animé d’un feu intérieur et de l’urgence de dire, Jean-Philippe Renaud nous emmène de l’acceptation de la maladie, et des scènes de théâtre qu’il faut quitter, aux voyages. Il livre, tantôt avec passion tantôt avec mélancolie, cette confession intime du comédien, ce besoin irrépressible de partir pour mieux revenir à soi et cette soif d’amour. Il va avec délicatesse chercher une femme dans le public pour vivre une dernière scène de séduction et c’est très beau. Grâce à lui, Bernard Giraudeau revit sur scène avec la poésie et la passion dont sont imprégnés ses textes.

Micheline Rousselet

Jusqu’au 19 avril au Théâtre Les déchargeurs, 3 rue des Déchargeurs, 75001 Paris – du dimanche au mardi à 19h15 – Réservations : 01 42 36 00 50

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