Le Nouveau Théâtre Populaire est un collectif qui s’est crée en 2009 dans un village de 1000 habitants, Fontaine-Guéri, situé au cœur du Maine-et-Loire. Il compte actuellement vingt et un membres permanents et a un fonctionnement rigoureusement démocratique défini par une charte. Il travaille sur plusieurs pièces en même temps, mises en scène par différents membres de la troupe et chacun participe à plusieurs spectacles. Ils ont crée la surprise en 2021 à Avignon avec une trilogie de pièces de Molière, Le ciel, la nuit et la fête et offrent cette année Notre comédie humaine, une trilogie à partir de Illusions perdues et de Splendeurs et misères des courtisanes de Balzac, tout aussi étonnante et réussie.

Il fallait de l’audace pour s’attaquer au pan le plus célèbre de cette œuvre colossale, où Balzac se donnait pour projet de faire une « histoire naturelle de la société » où rien ne serait oublié, ni le genre, ni la profession, ni la situation sociale, ni la manière de vivre, ni la politique, la justice,etc…

La première partie de la trilogie,  Les belles illusions de la jeunesse , mise en scène par Émilien Diard-Detoeuf, prend la forme d’une opérette, avec duels et ambiance de vaudeville burlesque. Présentation d’Angoulême, de Lucien Chardon qui s’ennuie dans le bas de la ville en rêvant d’être poète et première montée dans l’échelle et dans la géographie sociales de la ville quand Lucien séduit Madame de Bargeton, égérie de la bonne société angoumoise. Cette partie se termine sur un air qui semble tiré d’une opérette d’Offenbach où tous chantent « Paris nous éblouit, Paris nous ensorcelle, nous y trouverons le bonheur éternel »

La seconde partie, Illusions perdues, mise en scène par Léo Cohen-Paperman campe un Lucien affirmant « J‘ai réussi à Angoulême, je triompherai à Paris ». Mais tout ne se passe pas comme il le rêvait. On est entre deux mondes. La révolution est passée, l’aristocratie occupe le haut du pavé, la Marquise d’Espard encouragée par la salle invitée à chanter « tout va très bien Madame la Marquise », grimpe sur un trône qui domine le plateau où elle régnera en permanence. Avec la volonté pédagogique d’ « aider le public à se retrouver dans le marigot politique », un membre de la troupe l’informe : « On appellera les Libéraux la Gauche et les Monarchistes la Droite ». Lucien, qui rêve d’intégrer ce monde en renonçant au nom de son pharmacien de père pour prendre le nom à particule de sa mère, de Rubempré, abandonnera la poésie pour le roman historique puis celui-ci pour le journalisme. Pensant que la politique lui donnera ce que la littérature lui a refusé, il abandonnera la presse de gauche pour celle de droite. Pour réussir et trouver de l’argent, il se prête à toutes les compromissions et à toutes les trahisons mais finira acculé en auteur de chansons paillardes. Tous les comédiens sont sur scène en permanence, vivant le quotidien des personnages dans le brouhaha de la ville où, sur le plateau, coexistent salles de presse, théâtres, cafés, lieux de fête et où passe régulièrement Balzac et sa cafetière, puisqu’il en buvait des litres pour écrire toutes les nuits. La mise en scène révèle de façon cruelle un monde où la trahison, la corruption, la flatterie sont de mise, où la recherche du plaisir tient lieu d’idéal, où la presse ne se préoccupe que de flatter l’opinion et où le succès théâtral ne tient qu’à l’achat de journalistes et de spectateurs. Bien sûr au milieu de tant de noirceur, il reste de l’amitié et de l’amour mais Lucien les oublie, perd son âme et ruiné, doit retourner à Angoulême.

La troisième partie Splendeurs et misères  (des courtisanes), mise en scène par Lazare Herson-Macarel, nous emmène quatre ans plus tard dans un univers très sombre, où plane l’ombre de Don Carlos Herrera. Il a sauvé Lucien du suicide et veut, quel qu’en soit le prix, lui assurer la réussite que lui n’a pas connu. Le prix sera le sacrifice d’Esther, une ancienne courtisane dont Lucien est amoureux et finalement la mort de Lucien lui-même. On est dans un univers où domine le noir, même dans la scène du bal masqué que tranche seulement le blanc de la cape d’Esther sacrifiée. Des chorégraphies réunissent parfois les protagonistes dans un accord parfait comme s’ils étaient les mécanismes d’un monde social tout entier accroché aux mêmes désirs et condamnés à la même chute et c’est glaçant.

À ces trois parties s’ajoutent trois intermèdes, Paradis, Purgatoire et Enfer (conçus et mis en scène par Pauline Bolcatto), oniriques et performatifs, qui introduisent le spectacle et s’intercalent entre les parties lors des entractes. Écrits à partir des deux romans de Balzac, d’autres textes de Balzac mais aussi de textes plus contemporains, des poèmes, des chansons qui révèlent ce qu’a d’universel et d’intemporel cette Comédie humaine.

Pour ceux qui ont la nostalgie des grandes heures du théâtre populaire et pour ceux qui regrettent de ne pas les avoir connues, c’est l’occasion. Courez-y ! L’intégrale dure 6h40 mais on ne voit pas le temps passer et on en redemande encore !

Micheline Rousselet

Jusqu’au 24 novembre au Théâtre de la Tempête, Cartoucherie, route du Champ-de-Manoeuvre, 75012 Paris – Les belles illusions de la jeunesse les mercredis à 20h, Illusions perdues les jeudis à 20h, Splendeurs et misères les vendredis à 20h, Intégrales les samedis et dimanches à 15h – Réservations : 01 43 28 36 36 ou www.la-tempete.fr – En tournée ensuite : du 11 au 14 décembre au CDN d’Angers, du 29 janvier au 1er février au Théâtre de Caen – une tournée permet aussi de voir leur précédente création Le ciel/la nuit, la fête rassemblant trois Molière Le tartuffe/Dom Juan/Psyché : du 15 au 18 janvier au Trident à Cherbourg, du 22 au 25 janvier au Théâtre de Caen, du 5 au 8 février au Théâtre de la Commune à Aubervilliers

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