Ou comment de jeunes comédiennes et comédiens sortant de l’École Supérieure d’Art dramatique, interrogent sans respect excessif la pièce d’Ibsen, datant de 1879, dans une mise en scène énergique et chorale, où notamment plusieurs actrices incarnent Nora, Nora jeune, Nora vieille, Nora paumée, Nora lucide.
Est-ce une suite d’Une maison de poupée ? Oui, puisque le point de départ de l’autrice Elsa Granat, qui met en scène, et de la dramaturge Laure Grisinger, c’est le moment où les trois enfants de Nora, devenus adultes, retrouvent leur mère, qui les a abandonnés autrefois, et qui vit désormais dans une maison de retraite ! Non, parce qu’il s’agit d’un EHPAD d’aujourd’hui, parce que ces trois jeunes adultes sont des années 2020, non des années 1920 !
Et c’est à travers leur regard de jeunes d’aujourd’hui que la pièce d’Ibsen est à la fois ré-écrite, re-jouée et questionnée dans un système vif et limpide où le public ne se perd jamais, grâce à la précision du jeu et de la dramaturgie. Les sept comédien.nes sont d’une extraordinaire habileté, à passer d’un personnage à l’autre, d’un siècle à l’autre, d’une histoire à l’autre. Car la pièce confronte le « féminisme » du vieil Ibsen – qui refusait cette étiquette – et le féminisme d’aujourd’hui.
Comme dans son King Lear où elle donnait la parole à Cordelia, Elsa Granat imagine ce que Torvald aurait pu / ce qu’un homme pourrait dire à Nora / celle qu’il aime , non pas pour l’empêcher de partir mais au contraire pour la libérer du poids du couple et de la famille. Formidable moment où le fils d’aujourd’hui accouche son père du 19ème siècle des mots qui mettent à mal le patriarcat.
La réflexion d’Elsa Granat et de ses 14 comédien.nes (qui jouent en alternance) s’ouvre à toutes ces femmes qui sont restées dans l’ombre des hommes – qu’il soit leur époux, leur rival en littérature ou celui qui a écrit leur histoire. Ce n’est pas seulement Nora, ce sont aussi Suzanna Ibsen, Camilla Collett, romancière féministe norvégienne, et Laura Kieler dont l’histoire a inspiré Ibsen qui retrouvent une voix grâce à ce théâtre kaléidoscopique.
Marianne et Dominique Grissolange Leguen
Jusqu’au 31 mars 2024 du mardi au samedi à 20h30 et le dimanche à 16h30- Théêtre de la Tempête, route du Champ de Manoeuvre, 75012 Paris-Réservation www.la-tempête.fr ou 01 43 28 36 36
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