Olivier Cruveiller a adapté et mis en scène le roman Nagasaki d’Eric Faye qui a obtenu le grand prix de l’Académie Française en 2010. Eric Faye s’est inspiré d’un étrange fait divers réel rapporté en 2008 par plusieurs journaux japonais. On peut penser aussi au Horla de Maupassant. Monsieur Shimura, vieux célibataire qui mène une vie répétitive et rangée a la vague impression que pendant son absence de la nourriture disparaît de son frigo et que des objets sont déplacés. Comme il ne croit pas à l’irrationnel , il installe une webcam afin de surveiller de son bureau la cuisine de son domicile. Il découvre sur son écran une femme qui boit du thé et qui profite du soleil à travers la fenêtre. Il prévient la police qui arrête la femme, l’interroge et apprend à Monsieur Shimura qu’elle s’est installée depuis presque un an chez lui dans le placard à futon de la chambre d’amis.

Olivier Cruveiller met en scène et joue Monsieur Shimura avec une grande sensibilité. Quand il surprend la présence de cette femme et la dénonce, on sent que son monde s’effondre et qu’il regrette ce qu’il est en train de faire. Cette occupante clandestine vient rompre une vie solitaire de repli sur soi et le fait fantasmer. Il aurait pu mener une autre vie avec une femme. Mais il est trop tard. Le procès va avoir lieu et la condamnation tombera malgré ses efforts pour minimiser ce délit.

On va découvrir la vie de cette femme jouée remarquablement par Nathalie Akoun (Elle plus âgée) et Nina Cruveiller (Elle jeune). Elle est une laissée pour compte de cette société : après la mort de ses parents, elle s’est retrouvée ruinée , au chômage, sans domicile. Cherchant un abri, elle a repéré ce domicile où elle s’est installée et qu’elle n’occupera pas par hasard.

L’excellent jeu des acteurs, le décor épuré , les lumières et la musique de Laurent Valéro donnent à la pièce toute sa dimension. Deux paravents mobiles, trois tabourets et de grands panneaux de papier évoquent discrètement le pays du Soleil levant et nous transportent dans les différents lieux. La webcam fait apparaître la femme comme une ombre chinoise, comme un spectre rappelant les ombres des disparus anonymes imprimés sur les murs après la bombe atomique de Nagasaki en 1945. Elle comme lui sont condamnés à rester dans l’ombre d’une vie sans aspérité, déchirée comme le sont les panneaux de papier tombant du plafond. La musique de Laurent Valéro au bandonéon , au violon et au basson soulignent les émotions des personnages.

Un beau spectacle qui par sa sobriété, sa délicatesse et son élégance fait penser aux estampes japonaises tout en étant universel.

Frédérique Moujart

Du 5 au 15 janvier, les jeudi, vendredi, samedi à 21h et samedi et dimanche à 16h30- Théâtre de l’Epée de Bois, Route du Champ de Manœuvre 75012 Paris – Réservation : 01 48 08 39 74 ou billetterie@epeedebois.com – Du 23 au 25 mars, du 30 mars au 1er avril, du 6 au 8 avril à 20h au 100, 100 rue de Charenton 75012 Paris – Réservation : 01 46 28 80 94

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