Céleste Albaret a très bien connu Proust puisqu’elle fut sa gouvernante de 1914 jusqu’à la mort de l’écrivain en 1922. Elle, qui n’était jamais sortie de son village, va être engagée à 23 ans après le départ pour la guerre du majordome de Proust. Elle va devenir l’ombre de Proust, sa confidente, celle qui introduisait les visiteurs et qui avait adapté sa vie aux nuits passées à écrire de l’écrivain, qu’elle aidait de mille façons. Proust était plein d’égards pour elle, la traitait avec une politesse parfaite, l’emmenait avec lui à Cabourg, lui conseillait des lectures, partageait avec elle ses jugements, ses soucis de santé. Elle l’admirait et l’aimait profondément. Parlant de ses horaires incohérents, elle a dit « toute son œuvre a été de se mettre hors du temps pour mieux le retrouver ». Elle avait compris tant de choses. Pourtant elle refusa, en dépit d’innombrables sollicitations, de livrer ses souvenirs jusqu’en 1973, où elle accorda 49 heures d’entretien au journaliste Georges Belmont qui, avec elle, en tira un livre intitulé Monsieur Proust. Elle avait 82 ans et mourut neuf ans plus tard emportant les secrets qu’elle avait souhaité garder.

L’adaptation de Monsieur Proust par Ivan Morane permet d’accompagner avec Céleste les huit dernières années de la vie de Proust, avec l’asthme qui l’épuise, ses habitudes mondaines, son goût pour la musique. Le passage d’un instant à l’autre se fait ici par la musique, celle des compositeurs que Proust aimait tant, César Franck, Gabriel Fauré d’autres encore. La pièce révèle aussi le portrait d’une femme remarquable interprétée par Céline Samie. Ivan Morane la met en scène et la sculpte grâce à la lumière. Vêtue de noir, les cheveux tirés en un petit chignon elle apparaît d’abord de dos. Céline Samie, qui fut pensionnaire puis sociétaire de la Comédie française de 1991 à 2016, est grande, belle comme l’était Céleste et lui prête sa voix posée et sa langue parfaite. Elle rit, s’émerveille de ce que lui fait découvrir Proust, elle épouse son ironie à l’encontre de Gide, qu’elle surnomme « le faux moine » ou de Gallimard qui se repent amèrement de n’avoir pas retenu le manuscrit de Du côté de chez Swan. Elle est attentive, admirative, dévouée mais aussi désespérée quand Marcel est mourant. Elle raconte dans une langue parfaite, passe de la voix posée et calme de Céleste à celle plus traînante, précieuse et lasse de Marcel, du ton mondain de Gide à celui des regrets de Gallimard. Une Céleste formidable, sensible, profonde, intelligente, parfois irrévérencieuse, mais toujours discrète, respectueuse et drôle règne sur la scène du Lucernaire.

Micheline Rousselet

Jusqu’au 27 novembre au Théâtre du Lucernaire, 53 rue Notre-Dame-des-Champs, 75006 Paris – du mardi au samedi à 19h, les dimanches à 15h30 – Réservations : 01 45 44 57 34 ou www.lucernaire.fr

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