La metteuse en scène Lisa Schuster a adapté pour le théâtre Country of my Skull (paru chez Actes Sud en 2004 sous le titre La Douleur des mots) écrit par la journaliste, poétesse afrikaner Antjie Krog. Celle-ci a été chargée par la radio nationale sud-africaine, la SABC, de couvrir les audiences des oppresseurs et des opprimés lors de la commission Vérité et Réconciliation mise en place par Nelson Mandela lors de son arrivée au pouvoir en 1995 en Afrique du Sud et présidée par Monseigneur Desmond Tutu. L’adaptation de Lisa Schuster est remarquable d’efficacité. Elle a eu l’excellente idée d’organiser son texte autour des étapes du deuil évoquées par un des psychologues de la commission : après le choc de l’annonce viennent le déni, la colère, la négociation, la résignation, une profonde dépression et enfin l’acceptation. Ces différents moments constituent les scènes de la lecture spectacle qui nous fait vivre en direct les différentes étapes de cette commission.

On pourrait craindre un spectacle statique et didactique mais l’ingénieuse mise en scène et le jeu des deux excellents comédiens, Romane Bohringer et Diouc Koma, font qu’on ne s’ennuie pas une seule minute. Assis tous les deux à une table, sur laquelle reposent un transistor, un micro et un magnétophone à cassettes, ils nous font non seulement (re)vivre en direct les moments forts des différentes auditions (interviews, témoignages, interrogatoires…) de la commission mais ils nous font aussi entendre les doutes, les réflexions intérieures de la journaliste.

Romane Bohringer incarne avec une grande sensibilité et émotion Antje Krog qui a baigné dans la culture afrikaner et qui est déchirée entre ses convictions politiques de femme anti-apartheid, son horreur des exactions et ses liens familiaux, son histoire personnelle ce qui l’amène à douter d’une réconciliation possible. Diouc Koma passe avec une grande aisance d’un rôle à l’autre : il est aussi bien Desmond Tutu que Botha, De Klerk, les victimes et les bourreaux et le journaliste de la SABC.

Cette lecture spectacle qui fait entendre la force du texte pose des questions essentielles et toujours actuelles. Comment arriver à accepter de vivre ensemble après autant de traumatismes, d’atrocités subis par un peuple victime de l’apartheid ? La réconciliation est-elle possible ? On peut aussi penser aux guerres, aux génocides qui ont déchiré des peuples. La fin du spectacle nous laisse sur une note optimiste : la réconciliation est possible. Si les crimes sont reconnus, on peut sortir du cycle de la violence. En cette période de repli sur soi, de peur de l’autre, cela fait du bien.

Frédérique Moujart

jusqu’au 27 janvier – Théâtre du Lucernaire, 53 rue Notre-Dame-des-Champs, 75006 Paris. Réservation : 01 45 44 57 34 ou www.lucernaire.fr

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