En 1914 à Nice, Guillaume Apollinaire fait la connaissance d’une jeune femme Louise de Coligny-Châtillon, dont il tombe immédiatement éperdument amoureux. Elle est belle, spirituelle, porte des pantalons et des cheveux courts et est intensément libre. Elle accepte les avances du poète puis se dérobe. Il s’engage alors et est incorporé à Nîmes. Elle l’y retrouve dès le lendemain. Pendant huit jours ils vont s’aimer passionnément. Séparés par la guerre – elle s’est engagée comme infirmière et lui part pour le front – il va lui écrire tous les jours des lettres où s’épanouit un érotisme raffiné et violent et une passion incandescente. Dans l’urgence de la guerre, il s’enthousiasme, brûle de désir, idéalise Lou et en fait sa muse.
L’actrice Moana Ferré a été séduite par les Lettres à Lou , ce recueil des lettres qu’Apollinaire a envoyées à son amante, et elle a souhaité les porter sur scène avec certains des Poèmes à Lou . On y suit toutes les étapes de la passion amoureuse, du désir brûlant et de l’exaltation des débuts jusqu’à ce moment où l’on tourne la page en se rappelant les serments passés. Les amants ne s’écrivent plus guère aujourd’hui et l’on brûle à écouter ces lettres d’Apollinaire. C’est à travers elles que l’on rencontre Lou, car il reste très peu de lettres d’elle, et rien ne vaut le portrait que trace un amant de la femme aimée. Il exalte son sourire, ses yeux, ses cheveux, sa voix. Il l’appelle « ma tubéreuse de Nice, ma baie de laurier de Nîmes ». Du métal des obus il rêve de lui faire une bague et s’impatiente quand passe un jour sans lettre d’elle. Sa pensée l’aide à résister à l’absence, à la guerre qui s’annonce plus longue que prévue. Peu à peu le ton devient plus sombre. Il pense à sa mort possible et regrette Paris. Mais il se souviendra toujours de celle qui a embelli sa vie pendant ces quelques mois.
Christian Pageault a mis en scène avec délicatesse ces lettres. Quelques bribes de musique, Viens poupoule ou L a Madelon, des bruits lointains de train ou de canonnades nous placent dans l’époque du début de la guerre. Une atmosphère poétique s’installe avec quelques notes plus contemporaines. Le papier s’impose, papier déplié en missives imposantes, papier qui se plie, devient origami où des lettres apparaissent dessinant ce « nous » reliant les deux amants, papier qui devient drap, où les corps se libèrent avec volupté, ou immense classeur, ou encore support sur lequel le pinceau tenu par Lou fera naître des coulées, brunes comme la terre des tranchées, et où s’égouttent des tâches rouges comme le sang.
Moana Ferré lit avec impatience les lettres et les poèmes que lui envoie Apollinaire. Mutine, coquette, langoureuse, assise ou couchée, elle déplie les grandes feuilles de papier, les lit, semble s’en imprégner avant de les froisser et de les jeter négligemment. Elle change de ton, accélère quand l’espoir d’une permission se dessine, se laisse aller à la volupté, passe de la légèreté à la gravité. Elle abandonne son déshabillé de soie légère pour une combinaison d’aviatrice quand la guerre s’impose et finit par laisser la parole à la voix d’Apollinaire qui ferme la parenthèse enchantée. Elle est magnifique.
Micheline Rousselet
Du mardi au samedi à 19h
Théâtre du Lucernaire
53 rue Notre Dame des Champs, 75006 PARIS
Réservations (partenariat Réduc’snes tarifs réduits aux syndiqués Snes mais sur réservation impérative) : 01 45 44 57 34
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