Charles prépare avec soin la table pour dîner avec Winston. Les verres doivent briller, les bouteilles de champagne sont au frais, six car son hôte est un grand buveur et les cigares sont prévus. C’est Winston Churchill qu’attend Charles. On sait qu’il ne viendra pas puisqu’il est mort depuis plus de cinquante ans. Charles est alcoolique et dépressif comme celui qu’il attend, mais il n’est qu’un modeste agent d’assurances que sa femme a abandonné et que son voisin vient accabler de reproches. Il tente de surnager – au propre comme au figuré, puisqu’il oublie d’arrêter l’eau du bain qu’il a fait couler pour Winston – tout en pensant aux grands discours de guerre de son mentor et en répondant au téléphone à un client en détresse avec sa voiture de location sur une route allemande.
L’acteur Gilles Cohen avait proposé à Hervé Le Tellier d’écrire un spectacle autour des discours de guerre de Churchill. Pas question de faire un spectacle historique mais, en bon oulipien, l’écrivain en a fait un exercice de style un peu loufoque et empli d’humour. Dans le fond ce qu’attend Charles de Winston, c’est qu’il lui insuffle la force de se sauver de lui-même comme il a su sauver le Royaume-Uni de la barbarie nazie.
Sur fond de vidéo, où l’on aperçoit dans un noir et blanc semblant venu de très loin des portraits de Churchill avec son haut de forme, ses cigares, sa main faisant le V de la victoire, Gilles Cohen attend son hôte et prépare la table en alternant confidences sur sa vie et discours du grand homme, parfois même en anglais. De temps à autre, le téléphone sonne et il se mue en agent d’assurance compréhensif mais totalement à côté de la plaque. Il boit, beaucoup, fait les questions et les réponses. On glisse doucement vers la déraison mais Charles n’abandonne pas son rêve et c’est son visage en noir et blanc qui vient à la fin remplacer celui de Churchill. Gilles Cohen porte avec délicatesse ce personnage drôle et désespéré, ou plutôt désespérément drôle. La défaite n’est jamais tout à fait sûre !
Micheline Rousselet
Jusqu’au 30 avril au Théâtre de l’Atelier, Place Charles Dullin, 75018 Paris – du mardi au samedi à 21h, le dimanche à 15h – Réservations : 01 46 06 49 24 ou theatre-atelier.com
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