Un spectacle de flamenco n’est-ce pas trop connu, trop attendu ? Certes, le flamenco est un genre musical, chorégraphique et chanté bien défini, codifié. On y souscrit ou pas, selon que l’on aime ou pas.

Justement, le flamenco combine en en faisant la symbiose, la musique, principalement à la guitare, la danse et le chant et ce n’est pas si banal. Musique et danse, c’est le ballet ; musique et chant, c’est l’opéra ; les trois à la fois c’est plus rare. Ce qui est encore plus rare et présent dans l’art flamenco, est que le corps dansant est aussi instrument de musique : le zapateado (frappe des pieds) ou le taconeo (frappe des talons) des danseurs sont de véritables percussions. Le corps chantant est aussi percussion par las palmas (frappe des mains). Si on veut ajouter une singularité du flamenco, on peut noter que la main droite du guitariste accomplit des gestes qui ressemblent à de rapides pas de danse avec les compas, les picados et autres arpèges ; sans parler des frappes sur la caisse de résonance qui font de la guitare un autre instrument de percussion. La grammaire musicale du flamenco est multiple et très physique !

Pas étonnant alors que la grande danseuse flamenca Valérie Ortiz qui n’est pas gitane mais basque, affirme « Danser est mon langage, le flamenco est ma voix. »

Dans Momentos, la danseuse qui maîtrise à la perfection non seulement le taconeo mais aussi les castagnettes, nous offre des moments de flamenco uniques et inattendus, avec finesse et grâce. En effet, avec cette troisième création, la chorégraphe a invité sur la scène flamenca non pas une flûte et un violon ou encore un djembé et un violoncelle comme dans ses précédentes créations, Por nuestro camino et Grito, Le cri du corps, mais un accordéon et un cajon, caisse de résonance que l’on frappe assis dessus, accompagné de cymbales. Dans un langage, il est bon de décupler les possibilités de tons et d’accents, et surtout le lexique. Ainsi, le chanteur Jesus Carceller et le guitariste Paul Buttin, l’accordéoniste Jérémy Naud et le percussionniste Alexis Sébileau forment un quatuor flamenco inédit ! Avec les danseurs Felipe Calvarro et Juan Manuel Prieto, Valérie Ortiz nous offre un spectacle haut en couleurs et sonorités, aux accents pathétiques ou joyeux.

Les moments se succèdent et nous surprennent comme celui où la chorégraphe et danseuse exécute un baile de castañuelas sur Benamor, un extrait enregistré de zarzuela (opérette espagnole). Autre surprise, une chanson en basque… La richesse du spectacle passe aussi par les lumières de Matthieu Durbec qui ose éclairer les pieds et mollets des danseurs en laissant le reste de la scène dans la pénombre. Le clou de ces Momentos de bonheur artistique, ce sont les costumes qui moulent les corps sculpturaux des danseurs ou offrent à la danseuse les volants suffisants à son envol sur scène. Les corps dansant jouent et parlent, en particulier les mains qui par des gestes enroulés ou déroulés de doigts et de poignets semblent vouloir nous délivrer des messages codés; un peu à la façon des hasta ou des kara, cette gestuelle des mains et des doigts des acteurs indous du théatre sanskrit du Kerala qui permettent d’exprimer en gestes articulés les mantra les plus profonds.

Tout est langage dans ces Momentos de flamenco mis en phrases jouées, chantées et dansées par Valérie Ortiz. Volutes de signes, de mouvements et de sons nous racontant la passion, la solitude, l’amour, la mort, la pauvreté, la rencontre, la séparation, le manque, en un mot, un poème du désir avec ses infinies inflexions.

Flamenco, flamme de vitalité sur fond de mélancolie. Ce soir-là, au du Théâtre Girasole, tant les aficionados que les novices vécurent un grand moment d’art et le firent savoir aux artistes par une chaleureuse et longue ovation debout.

Jean-Pierre Haddad

Avignon Off -Théâtre Girasole, 24 bis rue Guillaume Puy. Du 7 au 29 juillet 2023 à 21h15.

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