Molly S. est devenue aveugle à l’âge de dix mois. Elle est massothérapeute, son mari bricole entre chômage et missions humanitaires. Il a entendu parler d’un ophtalmologue brillant qui, probablement parce qu’il aime trop l’alcool, a échoué dans leur coin perdu du Donegal et qui pourrait peut-être opérer Molly. Il n’aime pas ce médecin, mais « cela vaut la peine d’essayer ». Molly hésite car elle a pris l’habitude de se passer de la vue en développant d’autres capacités, grâce à l’amour de ceux qui l’entourent. Elle reconnaît les fleurs à leur parfum, elle sait se déplacer sans voir et elle s’interroge « comment peuvent-ils savoir ce qu’ils m’enlèvent ? » Elle se laisse pourtant convaincre. L’opération semble réussir, elle recouvre la vue. Mais en croyant bien faire et en suivant surtout leur propre désir, le médecin et le monde l’ont exilé de son monde où elle avait développé des talents pour pallier sa cécité et le résultat ne sera que provisoire. Elle s’enferme alors dans la folie.
Julie Brochen a adapté cette pièce d’un célèbre auteur Brian Friel, dont on a vu cette année Danser à la Lughnasa. Des chaises évoquent tous les espaces, le piano droit rappelle les pubs irlandais tout comme les verres, nombreux, posés à terre. Peut-être parce qu’elle s’est intéressée à la pièce à un moment où elle avait perdu pendant un mois l’usage d’une oreille, elle a eu l’idée de faire appel à deux chanteurs pour sortir du monologue de Molly et faire de son adaptation un récit polyphonique. Molly, très justement interprétée par Julie Brochen, raconte son histoire, ses sensations, ses joies, ses doutes. Son mari Frank et le docteur Rice en racontent leur version. Accompagnés au piano par Nikola Takov, les deux hommes sont interprétés par Olivier Dumait et Ronan Nédélec, deux chanteurs lyriques, connus sur les scènes internationales, qui passent des dialogues au chant. Sur des musiques entre autres de Benjamin Britten et de Beethoven, sur des paroles de Robert Louis Stevenson ou de Shakespeare, ils chantent des balades, des lieder qui disent l’amour, le chagrin du temps qui passe et la douleur de la perte. Cette pièce peut paraître dérangeante car en voulant bien faire, mais en cherchant chacun ce qui leur importe, les deux hommes vont condamner Molly à l’enfer et c’est la voix des chanteurs qui exalte la belle personne qu’est Molly et qui emporte notre émotion.
Micheline Rousselet
Du mardi au samedi à 20h30, matinée supplémentaire le samedi à 16h.
Théâtre Déjazet
41 bld du Temple, 75003 Paris
Réservations : 01 48 87 52 55
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