À Londres en 1934, Mélanie Klein, que l’on peut considérer comme l’une des premières psychanalystes pour enfant dans les années 1920, vient d’apprendre la mort de son fils Hans à Budapest. Naturalisée britannique, déjà célèbre, elle vient d’engager une jeune psychanalyste juive réfugiée à Londres, Paula, pour l’aider à mettre en forme un manuscrit qu’elle doit remettre à son éditeur. Partie pour prendre le train, elle fait demi-tour et trouve chez elle, aux côtés de Paula, sa fille Melitta, venue pour fouiller l’appartement à la recherche de documents qui la concerneraient. Au cours de la nuit, Melitta va régler ses comptes avec sa mère. Elle lui reproche de les avoir, elle et son frère Hans, utilisés comme instruments de son travail en les psychanalysant et en leur faisant dire ce qui servait ses thèses. Elle l’accuse aussi d’être responsable du suicide de Hans. Sa mère la considère avec mépris comme une mauvaise clinicienne et, pour l’en punir, Melitta a choisi comme analyste Edward Glover, celui qui se voit comme le gardien de la pensée freudienne et cherche à éliminer Mélanie Klein des organes d’enseignement et de formation psychanalytique à Londres. Au terme d’une nuit d’échanges d’une rare violence, Melitta, la mauvaise fille sera éliminée de la vie de Mélanie et remplacée par celle que Mme Klein s’est choisie, Paula.

Théâtre : Madame Klein
Théâtre : Madame Klein

La pièce écrite par un dramaturge britannique contemporain, Nicholas Wright, est passionnante à plus d’un titre. Elle campe une Mélanie Klein avec tous ses aspects contradictoires : égocentrique, autoritaire, près de ses sous, toujours sûre d’avoir raison, mais aussi affaiblie par le chagrin de la mort de son fils et par le conflit qui coupe en deux l’école anglaise de psychanalyse, une femme qui a fondé sa réputation sur la psychanalyse d’enfants, mais qui n’arrive pas à accepter la prise d’autonomie de ses propres enfants. Les phrases courtes du dramaturge, d’apparence anodines, révèlent entre les lignes des pulsions de haine terribles. La confrontation de ces trois femmes qui, par leur profession, sont des maîtres de la parole fait de la scène un champ de bataille d’où l’extérieur n’est pas totalement exclu. Ce sont des femmes qui ont fui l’Allemagne ou l’Autriche devenues nazies, des femmes qui ont la nostalgie de la langue et de la nourriture de leur enfance et qui savent ce qui se passe là-bas.

Brigitte Jaques-Wajeman, qui s’est signalée par des mises en scène de Corneille qui ont fait date, propose une mise en scène très intelligente de la pièce. On y retrouve l’unité de lieu, le salon bourgeois d’une intellectuelle, l’unité de temps, une nuit, et l’unité d’action chères à notre théâtre classique. Sur les meubles des lettres et des écrits, au sol des jouets d’enfant, dont le petit train, image de la sexualité enfantine dans une des analyses connues de Mélanie Klein.

Marie-Armelle Deguy incarne avec autorité une Mme Klein persuadée d’avoir toujours raison, sûre d’elle, mais aussi destructrice, une véritable Médée moderne. Clémentine Verdier est sa fille, détruite par la relation avec sa mère, et qui se mue en Electre vengeresse. Sarah Le Picard, toute en retenue, est l’assistante qui, à la fin de la nuit, finit par s’allonger sur le divan, prête à prendre la place de celle qui est devenue « la mauvaise fille ». Elles font penser aux trois Parques, tenant le fil des destinées humaines que rien ne peut infléchir. La violence de la relation familiale explose dans les propos de ces virtuoses de la parole et ils nous laissent pétrifiés.

Micheline Rousselet

Tous les soirs, sauf le lundi, à 20h30, le dimanche à 15h.

Théâtre des Abbesses

31 rue des Abbesses, 75018 Paris

Réservations : se réclamer du Snes et de cet article, demande de partenariat Réduc’snes en cours : 01 42 74 22 77


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