Inspirés par des récits familiaux et des recherches historiques, Nicole Ayache, directrice artistique de la Compagnie Hékau et Sarah Melloul pour l’écriture ont imaginé une fiction Min El Djazaïr qui signifie « Depuis l’Algérie » sur le départ forcé des Juifs d’Algérie en 1962 après les accords d’Évian. Dès le début du spectacle, nous sommes plongés dans l’ambiance d’Alger des années 1950. Une maquette de papiers découpés projetée sur des draps blancs fait apparaître les différents quartiers de la ville : le port, la casbah, la grande synagogue, la rue de la Lyre et son marché. En même temps, la musicienne, Jina Di Najma, raconte l’histoire de la vie d’une famille juive de marchands de tissus qui devra quitter Alger parce « que trop juifs pour être pieds-noirs et trop français pour être algériens. ». La narratrice, Babeth, la sœur aînée, nous fait partager ses souvenirs qu’elle accompagne de musiques et de chants (sont-ils réels ou fantasmés ?) : le magasin de tissus tenu par son père et sa famille depuis des générations, l’engagement de sa sœur Simone auprès du FLN pour l’Algérie indépendante ce qui entraînera la brouille entre les deux sœurs. Pourquoi faut-il choisir se demande Babeth? Les communautés juives présentes depuis l’Antiquité et algériennes vivaient jusqu’alors dans une insouciance partagée dont témoigne l’amitié entre son père juif et Younès, leur voisin épicier. Marchands juifs et arabes se côtoyaient depuis toujours. Mais la colonisation entraîne des fractures et l’engagement ou l’histoire amènera chacun des membres à l’exil non choisi.

Grace à une formidable mise en scène du décor et des marionnettes accompagnées de lumières et d’images d’archives, Nicole Ayache et Pascale Goubert nous entraînent dans des univers qui passent des jours heureux à la violence que l’OAS (organisation de l’armée secrète) fait régner lors de la guerre d’Algérie. Des stores tamisent la lumière comme les images floutées d’archives de la famille comme pour évoquer les souvenirs diffus. Les couleurs et le théâtre d’ombres, marque de fabrique de la Compagnie Hékau, donnent au spectacle une dimension documentaire et de conte qui force l’admiration du spectateur bercé par la belle voix de la conteuse et par les sonorités de la musique judéo-arabe qui accompagnent le récit. Les couleurs projetées sur les grands draps blancs évoquent aussi bien la mer que le café de la casbah où se produisit la grande Reinette l’Oranaise ou l’exil avec le paquebot qui quitte les rives d’Alger lors de l’exil de 1962. La présence en voix off du journaliste de Radio Lyre commente sobrement et clairement les événements dramatiques comme l’assassinat du chanteur juif chantant en arabe Cheikh Raymond symbolisant la fin d’un monde aux cultures mêlées. La présence des rouleaux de tissus comme l’ingénieux système de projections d’images évoquent les machines textiles ou machines à coudre. Tout fonctionne avec une grande maîtrise et témoigne de l’immense travail réalisé pour fabriquer les décors, les marionnettes. La scénographie et les lumières de Julie Boillot-Savarin sont en cohérence avec le mouvement calibré et précis des personnages et des images projetées et nous émerveillent.

Une très belle production qui nous fascine et convainc une fois de plus de la force des arts de la marionnette. Une vraie réussite esthétique, musicale et émotionnelle.

Frédérique Moujart

Jusqu’au 22 mars, du mercredi au vendredi à 20h, le samedi à 18h, le dimanche à 17h – Le Mouffetard, 73 rue Mouffetard, Paris 5ème – Réservations : 01 84 79 44 44 ou contact@lemouffetard .com – dans le cadre de la 12ème Biennale internationale de la marionnette, le 16 mai 2025, Centre culturel de La Courneuve (93) et le 21 mai 2025, Théâtre des Bergeries, Noisy-le-Sec (93)

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