C’est une histoire de désir obsessionnel et de dévoration que Pascal Rambert a écrit pour Arthur Nauzyciel et les acteurs qui l’accompagnent. Quatre frères vivent des métiers du bois dans une cabane isolée au milieu de la forêt, avec leur servante Marie. On est dans l’univers du conte. On pense à Blanche-Neige et les sept nains ou à Boucle d’or et les trois ours, mais autour de Marie, ils sont quatre. Du conte il y a aussi le décor de cette forêt mystérieuse dont les troncs enchevêtrés forment une barrière infranchissable, un jeune homme auquel rêve Marie et un vrai hibou qui s’envolera au-dessus des spectateurs. Mais ceux qui tournent autour de Marie sont des hommes frustes, brutaux, animés d’un désir bestial pour celle dont le corps hante leurs rêves et on va quitter l’univers du conte pour celui des Atrides. Marie, qui, le jour, leur sert leur soupe comme à des bébés, n’est plus la nuit qu’un corps qu’ils peuvent outrager dans leurs rêves. Mais contre ceux qui l’ont méprisée et harcelée la vengeance de Marie sera terrible. Le bois omniprésent qu’ils tronçonnent dans la forêt deviendra son arme et la dernière soupe qu’elle leur servira aura un goût terrible.

Le texte de Pascal Rambert est un texte fort. Habituellement c’est lui qui assure la mise en scène de ses pièces. Cette fois il l’a confiée à Arthur Nauzyciel et il a choisi les acteurs qui, comme à l’habitude, portent leur vrai prénom, Marie (Marie-Sophie Ferdane), Adama (Diop), Pascal (Greggory), Frédéric (Pierrot) et Arthur (Nauzyciel) ou Guillaume (Costanza), en alternance. Les hommes du bois sortent de l’ombre de la forêt un à un, par ordre de taille, avec leur tronçonneuse orange. Ils ont la parole rare, s’asseyent autour de la table et attendent que Marie les serve, puis ils montent à grandes enjambées bruyantes les marches de l’escalier qui, dans un bel arrondi, les conduit vers la porte de leurs chambres. On rit de les voir ainsi, modernes frères Dalton, jouant les durs. Mais on s’aperçoit vite qu’ils le sont vraiment. La nuit les révèle dans toute leur noirceur, incapables de faire autre chose que bramer comme des cerfs en rut devant la chambre close de Marie. Ils se mettent à nu, au propre comme au figuré, pour révéler leurs désirs obsessionnels. Leur brutalité éclate dans leurs rêves, où chacun apparaît armé de l’instrument de sa violence, tronçonneuse, hache, pince coupante ou couteau. Ils sont inquiétants et pourtant grotesques.

Face à eux Marie-Sophie Ferdane joue de sa haute taille et de sa voix rauque. Le jour elle doit se courber pour passer le seuil de la cuisine, laver le sol et la table pour obéir aux ordres de ces rustres, ce qu’elle fait avec une frénésie qui révèle ses frustrations. En apparence soumise elle ne se laisse pas écraser par ces corps masculins et oppose une barrière infranchissable à leur désir. Elle se tait, parle peu mais à leur différence elle peut dire ses désirs, elle est libre et l’affirme, les rendant encore plus fous.  Devenue une sorte d’ange de la vengeance, elle leur fera payer avec une violence terrible sa vie de femme violée, harcelée, dont ils ont tué le rêve. Elle est grandiose.

En mêlant mythologie, conte et univers poétique inquiétant, le duo Pascal Rambert-Arthur Nauzyciel, servis par de magnifiques acteurs, réussit une œuvre qui fera date pour parler des rapports entre les femmes et les hommes.

Micheline Rousselet

Du mercredi au samedi à 20h30, le mardi à 19h30, le dimanche à 15h30, jusqu’au 21/10, au théâtre de la Colline, puis en tournée du 10 au 14 novembre et 20 et 21 novembre au TNB Rennes


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