Le célèbre roman de Choderlos de Laclos se termine par la mort en duel du Vicomte de Valmont sous les coups d’épée de Danceny, l’exil en Hollande de Madame de Merteuil atteinte de la petite vérole qui va la défigurer et dont la réputation est irrémédiablement ruinée. Quant à Cécile de Volanges, que les deux manipulateurs roués avaient utilisée dans leurs jeux libertins en profitant de sa candeur, elle se réfugie au couvent.
Marjorie Frantz a imaginé que les deux femmes se retrouvent quinze ans après, en 1799, dans un relais de chasse isolé où Madame de Merteuil a été invitée par un billet mystérieux. La Marquise est encore belle, intelligente, manipulatrice orgueilleuse et jouisseuse, totalement amorale. Même usée elle reste puissante et n’envisage pas une quelconque défaite. Cécile de Volanges semble son exact contraire, naïve amoureuse, elle fut le dégât collatéral des manigances des deux libertins. Mais quinze ans ont passé, l’Encyclopédie de Diderot a réveillé les esprits et avec la Révolution les codes de la société ont changé. Cécile est à son tour devenue une femme forte déterminée et vengeresse. Écrite dans un style qui s’accorde avec celui du XVIIIème siècle, la pièce de Marjorie Frantz plonge les spectateurs dans un duel à fleuret moucheté entre deux femmes, révélant les faiblesses de la condition féminine dans une société qui démarre sa mutation. Sous le vernis mondain, le combat va se révéler impitoyable laissant apparaître, sous la cruauté des propos, les fragilités et les failles des deux femmes.
Salomé Villiers, Molière de la Révélation Féminine en 2022, met en scène la pièce. Deux méridiennes, un jeu d’échec, un jouet d’enfant dans un coin et deux verres sur un guéridon, des costumes XVIIIème, l’un plus à l’ancienne pour Madame de Merteuil, l’autre directoire pour Cécile de Volanges, nous sommes bien en 1799.
La pièce est admirablement servie par les deux comédiennes. Marjorie Frantz incarne une Madame de Merteuil, orgueilleuse, dominatrice qui se veut maîtresse du jeu aujourd’hui comme autrefois mais va peu à peu révéler ses failles. Chloé Berthier campe une Cécile de Volanges qui semble plus fragile mais n’a pourtant plus rien de la victime qu’elle fut. Elle accuse, elle cherche à se venger, elle a acquis de l’expérience dans le jeu social et elle est déterminée.
Un bijou d’esprit, d’intelligence et de sensibilité qui ravira les spectateurs.
Micheline Rousselet
Jusqu’au 7 mai au Lucernaire, 53 rue Notre-Dame-des-Champs, 75 006 Paris – du mardi au samedi à 20h, dimanche à 17h – Réservations : 01 45 44 57 34 ou www.lucernaire.fr
Des militants partagent ici des critiques littéraires, musicales, cinématographiques ou encore des échos des dernières expositions mais aussi des informations sur les mobilisations des professionnels du secteur artistique.
Des remarques, des suggestions ? Contactez nous à culture@snes.edu