Après Seuls et Soeurs, Wajdi Mouawad poursuit son Cycle domestique, nourri d’éléments autobiographiques. C’est à sa mère qu’il s’attache ici, exilée à Paris pendant cinq ans, seule avec ses trois enfants, tandis que son mari tente de continuer à travailler au Liban pour faire vivre sa famille.

On est dans l’appartement parisien où grandissent Wajdi et sa sœur Nayla aux côtés d’une mère dont l’impatience et l’inquiétude ne laissent aucune place à la douceur et à la tendresse. N’ayant de nouvelles que par la télévision, ou le téléphone quand il daigne fonctionner, refusant de s’installer vraiment dans « ce pays d’en face » car elle pense que demain elle pourra retourner au Liban, elle ne peut s’empêcher de répéter qu’elle préférerait être au Liban sous les bombes plutôt qu’à Paris. Entre ses insultes hautes en couleur contre les politiciens libanais, syriens et israéliens qui font le malheur du Liban, ses imprécations contre les Français qui, hérésie, font le taboulé avec de la semoule, ses colères explosives contre Wajdi, qui fait de la résistance dans son apprentissage du français, la mère tente de survivre, accrochée au cordon ombilical qui la relie au Liban, le téléphone et la télévision où Christine Ockrent règne sur le 20 heures.

Wajdi Mouawad a voulu attraper la voix de cette mère morte à Montréal en 1987, une voix âpre, râpeuse à l’image de la situation. Il a fait le choix d’une langue métissée, une langue de l’exil qui passe du français à l’arabe. Elle résonne avec vivacité et humour dans les paroles de cette mère volcanique toujours en colère contre son fils qui n’apprend pas le français assez vite, contre sa fille qui commence à regarder un garçon français, contre son mari qui n’arrive pas à régler rapidement ses affaires pour la rejoindre. Et puis l’âge venant, Wajdi Mouawad, qui passe en tant qu’adulte sur le plateau semblant prendre soin de ses personnages, s’interroge sur ce qu’a été la vie de sa mère. Il regarde les photos de son mariage. Elle n’y sourit jamais, comme si elle pressentait la vie qui l’attendait. Magie du théâtre qui permet de faire dialoguer les vivants et les morts, il va la rencontrer, alors qu’elle est morte depuis longtemps, et découvre la mère dont il rêvait, douce et tendre, et non pas en train de le disputer sans cesse ou de hurler pour lui demander de passer l’aspirateur.

A Paris la famille vit au rythme de la radio et des chansons. On entend Adamo chantant Tombe la neige, préfiguration du futur départ vers un nouvel exil, au Canada cette fois, mais aussi Pierre Bachelet, idole de sa mère et Tant pis pour le Sud (Nino Ferrer) qui devient Tant pis pour le Liban. Et puis il y a la télévision avec Christine Ockrent. La présentatrice du 20 heures joue son propre rôle (et le fait fort bien), mais elle est aussi embarquée dans la vie familiale. Quand elle ne se fait pas houspiller, parce qu’elle donne d’autres informations que la guerre du Liban, Solidarnosc et la Pologne ayant remplacé la guerre du Liban à la une, la mère demande conseil à « Madame Ockrent » tandis que le jeune Wajdi lui pose des questions d’histoire de France. Au gré des informations, des images d’actualité s’affichent en fond de plateau, bombardements sur leur ancien quartier, ruines, massacres de Sabra et Chatila ajoutant à l’angoisse de la mère.

Outre Christine Ockrent et les jeunes acteurs qui, en alternance, jouent Wajdi enfant, le metteur en scène a fait appel à deux actrices libanaises qui jouent en libanais, la traduction apparaissant en surtitrage très lisible. Aïda Sabra est cette mère haute en couleur, colérique, paniquée, coincée dans les traditions et rêvant d’un retour rapide au pays. Odette Makhlouf est la sœur aînée, tentant de garder son calme et son indépendance au milieu de la tempête.

Avec humour et émotion Wajdi Mouawad réussit à nous emporter dans l’intimité de cette famille prise dans les soubresauts de l’Histoire, qui ne sont toujours pas terminés.

Micheline Rousselet

Jusqu’au 30 décembre au Théâtre de la Colline, 15 rue Malte-Brun, 75020 Paris – du mercredi au samedi à 20h30, le mardi à 19h30, le dimanche à 15h30 –

Réservations : 01 44 62 52 52 et Billetterie.colline.fr

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