Une femme regarde distraitement la télévision en tricotant. Elle a la quarantaine et vient d’accepter de répondre à une interview. Elle espère que cela l’aidera à comprendre, à ouvrir la porte derrière laquelle sont tapis les secrets qui l’empêchent de dormir. En 1968, petite fille de 11 ans qui s’appelait alors Mary Bell, elle avait étranglé, à un mois d’intervalle, deux petits garçons. La justice anglaise avait été incapable de prendre en charge l’enfant qu’elle était. Au bout de douze ans de prison, on l’avait libérée, on lui avait donné un autre nom et une autre demeure pour la soustraire aux media qui s’étaient déchaînés sur « Mary la sanglante ». Elle a décidé de sortir du secret et de témoigner sous son nom, celui qui devait la masquer.

Théâtre : Mayday
Théâtre : Mayday

Dorothée Zumstein s’est emparée de ce fait divers et du livre écrit par Gitta Sereny qui réalisa l’interview, pour écrire la pièce. Celle-ci fait apparaître en une sorte de collage d’espaces-temps les voix des divers protagonistes. Il y a la parole de Mary, petite fille mal aimée, qui imagine sa mère, Betty, qui n’avait que dix-sept ans à sa naissance, criant « débarrassez-moi de ça », celle de Betty, que sa propre mère imaginait promise à Dieu et qui s’est mise à traîner dans les bars et les boites de nuit et à se prostituer et enfin celle de la mère de Betty, femme de mineur qui a su, mais n’a pas osé, ouvrir la porte au secret.

Julie Duclos, la metteure en scène et Dorothée Zumstein se sont rendues à Scotswood, une petite ville près de Newcastle où s’est déroulé le fait divers pour s’imprégner de l’atmosphère du lieu. Mais Dorothée Zumstein ne s’est pas contentée de raconter cette histoire. Elle a laissé sa part aux rêves, aux cauchemars, aux souvenirs. Elle a su proposer une écriture qui s’échappe parfois vers la poésie pour raconter cette histoire où les secrets sont presque plus lourds que la fureur qui emporte les personnages.

Julie Duclos a imaginé une mise en scène d’une intelligence remarquable. A l’image des espaces-temps qui se superposent, la scénographie d’Hélène Jourdan superpose un salon, celui où se déroule l’interview, et un paysage destroy de terrains vagues et de ruines de masures ouvrières, une fenêtre derrière laquelle la vidéo nous fait surprendre une conversation muette entre Mary et sa mère ou qui devient fenêtre de train. La vidéo apporte des gros plans sur les visages, des moments comme volés à la vie de Mary et de sa mère et des images de ces banlieues ouvrières suintantes de tristesse qui évoquent les films de Bill Douglas. Pour Julie Duclos cette histoire est celle d’un geste que Mary tente de comprendre, une pulsion irrésistible face à trop de choses cachées, ces choses qui sont derrière cette porte que l’on n’ose pas ouvrir et dans ce cahier noir fermé par un cadenas. Cette violence est aussi dans la musique et les actrices (Maëlia Gentil, Vanessa Larré, Marie Matheron et Alix Riemer) la portent avec force. Mary enfant se cogne contre le mur après avoir dit « sans le cahier noir elle (sa mère) sera bien obligée de m’aimer », saute sur les toits des maisons abandonnées, se jette par terre avec une énergie qui la retient vivante malgré tout. Déchaînée, Betty, la mère de Mary semble vouloir se perdre dans la violence de la danse qui l’enchaîne au chorégraphe, Biño Sauitzvy, et c’est en silence, presque comme une ombre, qu’elle disparaîtra.

Même si la dernière minute apporte une lueur d’espoir, on sort la gorge nouée par cet engrenage de misère et de violence sur trois générations et c’est magnifique !

Micheline Rousselet

Du mercredi au samedi à 20h30, le mardi à 19h30, le dimanche à 15h30

Théâtre National de la Colline

15 rue Malte-Brun, 75020 Paris

Réservations (partenariat Réduc’snes tarifs réduits aux syndiqués Snes mais sur réservation impérative) : 01 44 62 52 52


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