Dans le cadre de sa programmation toujours ambitieuse, stimulante et attentive aux nouveaux talents, le T2G programme un choix de Suzanne de Baecque (voir la chronique consacrée à « Tenir debout ») : un spectacle de Daphné Biiga Nwamak et Baudoin Woehl, créé au Théâtre de la Cité Internationale (TCI) en mars 2023.

Maya Deren (1917-1961), née en Ukraine et émigrée aux E-U dès son enfance, est une figure un peu oubliée de l’avant-garde artistique américaine. Réalisatrice de films expérimentaux, chorégraphe, inventeuse de la « vidéodanse » qui renouvelle le film de danse en se distinguant d’une simple captation, elle fait partie de ces artistes femmes injustement oubliées et aujourd’hui redécouvertes.

Les créateurs du spectacle l’ont eux-mêmes découverte de manière improbable, à partir d’une chorégraphie de Beyoncé. Ils se sont inspirés de ses films (on peut en voir sur Youtube) et de ses textes (Écrits sur l’Art et le Cinéma, éditions Paris expérimental, 2014) pour proposer une création qui n’est pas du tout une biographie, ni même une évocation, de cette figure retrouvée. Leur propos est plutôt de mettre en œuvre ses idées et ses théories dans une proposition originale, une réflexion sur deux questions centrales : la tension entre l’idée d’une réalité commune et la pluralité irréductible des points de vue, et le rapport entre l’usage du corps, notamment la perception, et la technologie : peut-on, sous l’influence de la technique, penser son corps comme une machine, en l’occurrence une caméra, et le faire fonctionner comme tel ?

Sur le papier, tout cela semble formidable, mais malheureusement le spectacle, certes intéressant, n’est pas vraiment abouti et pourrait gagner en clarté et en densité. Déjà, le parti-pris de ne pas consacrer à Maya Deren un spectacle auquel elle donne son nom se discute : après tout, ce serait intéressant de nous faire découvrir cette artiste tombée dans un relatif oubli. Ensuite, la pièce fait choix d’aborder ses idées à partir d’une fiction : une jeune femme qui vient d’être quittée par son compagnon réfléchit à voix haute sur l’opposition des points de vue, le regard, ce qu’il peut supporter, ce qu’il peut retenir. En dépit de la conviction de Daphné Biiga Nwanek, qui porte le texte, ce choix ne fonctionne pas très bien. L’élément fictionnel, très peu développé, n’enrichit pas la réflexion théorique, mais la réduit à des considérations plutôt banales sur la réalité, le point de vue, le montage. De plus, il ne se passe pas grand chose sur scène. Le spectacle pourrait être densifié. Enfin, sa cohérence n’est pas assurée. Dans une première séquence, la danseuse et chorégraphe Anna Chirescu (excellente, très forte présence) danse une chorégraphie de Beyoncé, puis la reprend en « slow motion », tout en la commentant. C’est peut-être la meilleure partie du spectacle. Une deuxième séquence est consacrée à la mise en fiction des théories de Maya Deren. Dans une troisième et dernière séquence, la danseuse revient, sans qu’on comprenne bien le propos. Le tout ne forme pas un tout, justement.

Un spectacle non dénué d’intérêt, donc, mais dont les partis-pris sont discutables et la réalisation un peu pauvre. C’est néanmoins tout à l’honneur du T2G que de donner leur chance à des projets de ce type.

Pierre Lauret

T2G Théâtre de Gennevilliers, 41 avenue des Grésillons, 92230 Gennevilliers.

www.theatredegennevilliers.fr. Le spectacle ne se joue que du 29 février au 4 mars. Mais il sera donné le 23 mars 2024 au Théâtre Olympia – CDN de Tours (WET° festival).


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