Un père, une mère et leurs quatre enfants, trois filles et un fils. La fille aînée se dresse, dénonce, crie, insulte, veut que les choses se disent. Face à elle le mur du silence du père, les dénégations de la mère et de la cadette, le sentiment de culpabilité des autres. Personne ne semble vouloir entendre la dénonciation. C’est trop douloureux, trop violent pour que la famille y résiste. Dans l’inceste, où commence la complicité, le déni, la responsabilité ?

debbie tucker green (les minuscules sont voulues par l’autrice) est une figure éminente de l’avant-garde dramatique anglaise. Sa langue, celle des jeunes, de la rue, de la diaspora africaine de Londres, superbement traduite ici par Gisèle Joly, Sophie Magnaud et Sarah Vermande, est un choc. Rythmée avec des beats, elle est proche du rap. Les voix se cognent dans une langue brute avec une violence mais aussi des silences, aussi violents que les mots.

La mise en scène de Sébastien Derrey donne à la pièce toute sa violence. Face aux spectateurs cinq chaises. Le père en marcel est assis, le regard droit, la mère semble indifférente, la fille aînée debout crie, insulte, veut que les autres parlent, qu’ils avouent leur culpabilité ou leur complicité. Des scènes se succèdent séparées par des passages au noir. La langue se déchaîne, vigoureuse acerbe. Comme le dit le metteur en scène « ce ne sont pas des conversations qu’il faut jouer mais une musique » avec des chants qui se succèdent, se superposent, s’interrompent. Il s’agit de « boxer avec les mots pour attaquer le silence ».

debbie tucker green écrit en général pour des acteurs noirs. Sébastien Derrey a fait de même et tous font entendre leur musique et leurs silences, du déni au rôle de témoin, sensible à la vulnérabilité de l’autre, mais incapable d’intervenir. Sephora Pondi s’impose dans le rôle de la fille aînée, boule de douleur rentrée, toute en violence et colère. Elle ne s’assied presque jamais, elle avance massive, attaquant le silence des autres pour les obliger à se positionner. Jean-René Lemoine est le père, calme, mutique, sans rien du pervers violeur que l’on pourrait imaginer. Il n’a que deux répliques mais parle beaucoup par ses regards et ses silences et quand il parle c’est terrible ! Nicole Dogué donne au personnage de la mère toute sa complexité. Loin d’être protectrice, elle passe de la négation des faits à une sorte d’aveu, celui d’avoir choisi de sacrifier une de ses enfants, mais c’est pour mieux renvoyer toute la responsabilité au père.

Une pièce coup de poing qui dit dans une langue dont la force impressionne la violence de l’inceste pour l’enfant qui en est victime, mais révèle aussi tout ce que la surdité et l’aveuglement familial impose de douleur aux autres enfants.

Micheline Rousselet

Du 15 au 21 décembre 2020 – Théâtre de Gennevilliers, 41 rue des Grésillons, 92230 Gennevilliers – Dates de tournée en attente en raison du COVID

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