
Marius est le résultat d’un travail d’atelier théâtral initié en 2017 par le metteur en scène Joël Pommerat à la Centrale d’Arles. Il y avait rencontré Jean Ruimi qui voulait mettre en scène une pièce qu’il avait écrite. Il avait été frappé par son envie de jeu, de fiction et d’invention, ce qui l’avait déterminé à travailler avec un petit groupe de détenus. « Leur absence de codes et de références propres au théâtre » l’a intéressé tout comme l’obligation de travailler sans beaucoup de temps pour se rencontrer, se parler, se lier.
L’adaptation qu’a faite de la pièce de Marcel Pagnol Joël Pommerat, assisté de Caroline Guiela Nguyen (directrice du Théâtre National de Strasbourg) et Jean Ruimi lui donne une autre dimension. Ce que ressent Marius, le sentiment d’étouffer dans le café de son père, l’envie de partir pour enfin respirer et vivre autre chose, est entré en résonance avec ce qu’ont probablement senti ces détenus, qui se sont rêvés débarrassés des contraintes carcérales et poursuivant une carrière de comédiens dans de vrais théâtres.
L’adaptation situe la pièce non plus dans l’entre-deux-guerres mais aujourd’hui. On est à Marseille dans la boulangerie-bar de César où les clients sont rares et où Marius se morfond, s’ennuie, peu soucieux de suivre le chemin que son père a tracé pour lui, devenir boulanger et s’occuper du commerce. Quelques clients, le fada, Panisse, Escartefigue, Piquoiseau, Monsieur Brun passent. Et puis il y a Fanny (Elise Douyère, la seule comédienne professionnelle du groupe). Enfant déjà elle aimait Marius, lui aussi l’aime mais son envie de partir est plus forte.
On retrouve les grands moments de bravoure de la pièce de Pagnol, les remontrances de César à Marius ou la partie de cartes avec des décalages très drôles. Mais avec cette mise en scène et surtout ces comédiens la pièce prend de la profondeur. L’accent marseillais est le leur (on pense à ce qu’avait de ridicule celui de Pierre Fresnay dans le film de Pagnol). Jean Ruimi est un superbe César, il passe de la colère à la tendresse, de la diatribe fleurie contre son fils à l’émotion. Michel Galera est un Marius plus introverti, qui laisse les silences s’installer avant d’arriver à les vaincre pour exprimer ses sentiments. Bernard Traversa incarne un Panisse, qui pourrait être un personnage d’aujourd’hui, toujours pendu au téléphone, exhibant sa réussite professionnelle et matérielle. Damien Baudry, Ange Melenyk, Olivier Molino (en alternance avec Redwane Rajel) et Ludovic Velon complètent la distribution. Certains manquent parfois d’un peu de technicité dans le jeu, mais ils ont une qualité exceptionnelle. Ils sont vrais. Et la longue tournée qui les a menés jusqu’au Rond-Point en est la preuve.
Micheline Rousselet
Jusqu’au 28 septembre au Théâtre du Rond-Point, 2bis, avenue Franklin D. Roosevelt, 75008 Paris – du mardi au vendredi à 20h30, le samedi à 19h30, le dimanche à 15h – Réservations : 01 44 95 98 21 ou theatredurondpoint.fr – En tournée ensuite : 22 et 23 octobre Théâtre du Passage Neufchâtel (20), 25 au 28 novembre Théâtre de Cornouailles à Quimper (29), 2 au 4 décembre au Grand R à La Roche-sur-Yon (85), 9 au 11 décembre à La Passerelle à Saint-Brieuc (22), nombreuses autres dates en 2026
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