Après nous avoir ému.e.s en 2018 avec Les bijoux de pacotille, une histoire de parents brutalement disparus de la vie d’une enfant, à la suite d’un accident de voiture, Céline Milliat Baumgartner s’attache cette fois à ressusciter le fantôme de sa grand-mère. En évoquant le souvenir de cette femme qui a aimé sa liberté et l’a payé fort cher, lui vient en écho celui de Marilyn Monroe. Toutes deux sont nées en 1926, les déceptions amoureuses de Marilyn se sont enchaînées, la grand-mère a été passionnément amoureuse et tout aussi déçue, a été une mère aimante puis défaillante. Tandis que Marilyn choisissait d’avorter pour préserver sa carrière, c’était le mari de la grand-mère qui était volage et privilégiait sa carrière.
En mettant en relation l’histoire des deux femmes et ses propres questionnements, sans lourdeur, sans didactisme, avec finesse et humour l’autrice soulève des questions sur ce que c’est qu’être femme, des questions qui traversent les générations. Comment être autre chose qu’un ornement ?Comment continuer à être aimée lorsqu’on vieillit et que l’homme que l’on aime ne vous regarde plus ? Comment être mère en restant une femme libre de ses choix ?
L’autrice a fait le choix d’éviter les vidéos et de préférer un univers sonore apporté par des chansons de films chantées par des femmes, I want to be loved by you par Marilyn Monroe ou Somewhere over the rainbow par Judy Garland et des chansons qu’elle chante elle-même, comme Il n’y a pas d’amour heureux. Un pianiste, aussi saxophoniste et joueur de divers petits instruments, Manuel Peskine est son partenaire, muet, mais plein d’humour.
Dans la mise en scène de Valérie Lesort il y a donc un piano, un cercle lumineux et surtout une grande armoire normande, écrin de tous les souvenirs. Elle peut s’ouvrir sur des robes de bal, puis sur des vêtements d’enfants, accompagnant le temps qui passe. Elle peut être théâtre avec ses rideaux rouges ou wagon de train abritant l’actrice et le musicien. Elle est enfin l’armoire qui renferme les souvenirs de la vie d’une vieille dame qui se déversent sur la tête de celle qui l’ouvre.
Céline Milliat Baumgartner nous faire vibrer au récit de ces vies et elle sait jouer de la magie du théâtre avec un art consommé. Une robe blanche à paillettes que l’on lisse et celle-ci s’ensanglante, des élastiques enfilés déformant peu à peu le visage et ce sont toutes les opérations esthétiques imposées à Marilyn pour obéir aux diktats de la beauté hollywoodienne que l’on ressent.
Juchée sur la pointe des pieds comme sur des escarpins, l’actrice est Marilyn susurrant sensuellement au micro. Elle devient la jeune femme en colère que fut sa grand-mère avortant jambes écartées, ouvrant les bras comme une crucifiée. Elle est enfin la jeune actrice d’aujourd’hui, cherchant désespérément dans le fouillis de l’armoire la chanson de Lara pour la faire écouter aux funérailles de sa grand-mère et ne trouvant que la chanson du Magicien d’Oz, justement celle qu’aimait tant Marilyn. Elle est formidable.
Micheline Rousselet
Du 11 janvier au 9 avril au Théâtre de la Porte Saint Martin, horaires variables 19h ou 21h à vérifier sur le site du théâtre
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