Pendant le confinement Eric Ruf, le directeur de la Comédie Française et les comédiens de la troupe avaient maintenu le lien avec nous, pauvres spectateurs privés du plaisir des salles, par une Web télé La comédie continue !. Les comédiens ont profité de ce temps pour se plonger dans des archives qu’ils ne connaissaient pas toujours, pour parler d’eux et de leurs façons d’aborder un rôle. Quand le temps de la réouverture est enfin venu, Éric Ruf a eu l’idée de la fêter avec un spectacle joyeux et festif. Un cabaret ?

Il a confié l’idée à Serge Bagdassarian, qui avait déjà dirigé certains des cabarets proposés à la Comédie Française, et à Marina Hands. Ceux-ci ont découvert que bon nombre de comédiens de la troupe étaient prêts à les suivre, réalisant ainsi des rêves d’enfant. Chacun a apporté un peu de son histoire, que Marina Hands et Serge Bagdassarian ont mis en forme, en créant des univers et en choisissant des musiques. Le résultat est plus que festif, il est brillant. C’est une vraie comédie musicale à l’anglo-saxonne, où l’on découvre, si on ne le savait pas, que ces comédiens si talentueux quand ils jouent, sont aussi exceptionnels quand ils dansent ou chantent, même de temps en temps en anglais (il faut dire que Marina Hands est franco-britannique et que Serge Bagdassarian a fait des études d’anglais) !

La scénographie (Chloé Bellemère) renvoie à l’univers du cabaret, un double escalier que monte la troupe en dansant et qui retournés par les comédiens deviennent les coulisses du théâtre. La direction musicale et les arrangements de Vincent Leterme et Benoît Urbain depuis longtemps partenaires de la Comédie Française, sont très réussis. Les lumières jouent de toute leur gamme, les silhouettes des six musiciens apparaissant en contre-jour au-dessus du plateau. Les costumes ont été choisis dans le stock du théâtre et les silhouettes créées par Christian Lacroix. A côté de l’univers brillant de lumières et de paillettes du cabaret, on voit aussi passer des oiseaux manipulés à vue par les acteurs, rappelant ce qu’a d’artisanal et de magique le théâtre.

Comme dans une comédie musicale à l’anglo-saxonne, il y a des chorus avec les seize comédiens-danseurs-chanteurs, où on sent leur joie de chanter, danser et jouer ensembles, mais aussi des gros plans, où l’un ou l’autre vient parler de lui, de son bonheur de se couler dans un costume pour jouer un personnage ou de son arrivée au sein de la troupe avec une audition simple et non pas solennelle comme il l’imaginait (très bon Yoann Gasiorowski). On sent que chacun a pu laisser libre cours à son talent, Clément Bresson par exemple bafouillant de façon si extravagante que la salle explose de rire ou la jeune Salomé Benchimol, nouvelle promue de l’Académie de la Comédie Française, sexy et drôlissime dans la célèbre chanson de Suzy Delair Avec son tralala. Ils évoquent des rôles, Agnès de L’école des femmes par exemple, le tumulte quand on enchaîne les pièces (extraordinaire Elsa Lepoivre rugissant en s’échauffant pour entrer en scène, passant de son rôle tragique dans Les damnés à une voix de petite fille dans une pièce pour enfant, avant de dire calmement « À demain » à Sylvia Bergé). Tous sont formidables, à commencer par Serge Bagdassarian en Monsieur Loyal costumé d’or chantant L’inaccessible étoile de Brel et Marina Hands, en combinaison et bas noirs exceptionnelle dans la scène de séduction de Chantons sous la pluie. Sur un rythme qui ne faiblit jamais on passe d’une séquence à l’autre sans que cela paraisse jamais artificiel.

S’il leur est arrivé de se demander pendant le confinement « Y a-t-il une vie après le théâtre ? » tous ces comédiens démontrent que le théâtre est indispensable, qu’un spectacle comme celui-ci devrait être remboursé par la Sécurité Sociale et que c’est un merveilleux cadeau. Merci à eux tous !

Micheline Rousselet

Jusqu’au 3 janvier à la Comédie Française – Salle Richelieu, Place Colette, 75001 Paris – Calendrier détaillé sur www.comedie-francaise.fr – Réservations : 01 44 58 15 15

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