C’est la nuit de la Saint Jean, une nuit magique placée sous le signe de la fête et de l’amour. Mademoiselle Julie, la fille du comte vient de rompre ses fiançailles et a décidé de transgresser les règles de son milieu en allant danser avec les domestiques. Un peu ivre, elle oblige son valet Jean à danser avec elle et entreprend de le séduire sous les yeux de sa fiancée, Kristin la cuisinière.
La pièce fonctionne sur le mépris. De son père Julie a hérité un mépris de classe envers les serviteurs et de sa mère la haine des hommes. Elle veut dominer Jean comme elle l’a fait avec son fiancé. Les serviteurs, eux, méprisent la conduite de Julie qui ne sait pas tenir son rang. La lutte de classes se double d’une lutte de genre. Jean ne se laisse pas si facilement dominer. Sous les provocations érotiques de Julie se réveillent en lui une violence et un cynisme qui vont briser une Mademoiselle Julie, victime de sa condition de femme. Quand voulant reprendre la main elle lui lance « un valet est un valet », il réplique « une putain est une putain ». Il aspire à sortir de sa condition, il a appris auprès de ses maîtres le goût du beau et du bon et tandis que Julie réclame de la bière, il boit du Bourgogne, tandis que, par caprice, elle veut danser avec les domestiques, il répugne à se mêler à la populace. Au jeu de la domination Jean, parce qu’il est un homme, et un homme déterminé, est mieux armé qu’elle. Passée de la cravache à la soumission, de la force à la faiblesse, de plus en plus perdue et désespérée, elle est envahie par un sentiment de déchéance après les excès de la nuit. Son destin ne peut alors que déboucher sur une impasse et tous les éléments de la tragédie sont en place.
Julie Brochen a mis en scène la pièce en respectant la règle des trois unités voulues par Strindberg. Unité d’action, le duel entre Julie et Jean sous l’œil de Kristin ; unité de temps, la nuit de la Saint Jean dont nous parviennent quelques vagues échos de musique ; unité de lieu, la cuisine du château avec son plat mijotant sur la cuisinière. C’est là que surgit excitée et un peu ivre, dans une longue robe jaune très aristocratique, Julie interprétée par Anna Mouglalis. De sa voix rauque et grave elle entreprend la conquête de Jean en excitant son désir, tout en utilisant sa qualité de comtesse pour bien lui signifier qu’il n’est qu’un domestique. Mais elle fait aussi sentir combien Julie est prise au piège dans ce jeu de séduction, ne supportant pas le désir qu’elle a éprouvé pour Jean, ce dont témoigne la façon dont elle arrête les caresses qu’elle a esquissées. Même si on peut lui reprocher d’adopter un accent un peu vulgaire quand elle marque sa volonté de se mêler aux danses des domestiques, l’actrice est convaincante, forte quand elle oblige Jean à danser avec elle ou à baiser sa bottine, faible quand elle est aveuglée par le désir, hautaine puis servile et enfin désespérée et perdue. Julie Brochen incarne Kristin, la servante. Certes celle-ci déborde de convictions morales et religieuses, justifie les différences sociales et méprise Julie qui les viole, mais fallait-il l’interpréter de façon aussi monolithique, telle une sorte de statue du commandeur ? Xavier Legrand incarne Jean. Il résiste au mépris de Mademoiselle Julie. Il a l’ambiguïté et le cynisme du personnage qui joue le jeu de l’amour et réussit à inverser le rapport de domination. Quand il quitte la scène de la tragédie, après avoir vérifié son image dans le miroir, bottes du comte dans une main, théière dans l’autre, il est d’une froideur glaçante. Il a gagné.
Micheline Rousselet
Du mardi au dimanche à 19h, les dimanches à 15h
Théâtre de l’Atelier
Place Charles Dullin, 75018 Paris
Réservations : 01 46 06 49 24
Des militants partagent ici des critiques littéraires, musicales, cinématographiques ou encore des échos des dernières expositions mais aussi des informations sur les mobilisations des professionnels du secteur artistique.
Des remarques, des suggestions ? Contactez nous à culture@snes.edu