
Émile, en proie à des menaces dans la prison où il est incarcéré, vient d’obtenir un aménagement de sa peine. Il ira le jour travailler dans une usine comme technicien de surface et reviendra la nuit dans sa cellule. Il espère ainsi pouvoir être libéré rapidement pour bonne conduite afin de retrouver sa femme et son fils. Le problème c’est que l’usine où il est envoyé se délocalise et que son boulot n’existera plus. Il ne comprend pas trop ce qui lui arrive mais une suite de quiproquos le conduit à être pris d’abord pour un cadre de la maison-mère envoyé pour annoncer la mauvaise nouvelle aux salariés, puis pour un délégué syndical. Il découvre les relations de pouvoir, dans l’entreprise et dans le monde politique. Que va-t-il faire ?
Poursuivant leur réflexion sur les questions sociales et politiques de notre temps, Samuel Valensi et Paul-Eloi Forget se plongent cette fois dans la question des délocalisations, en conservant le ton de la satire que nous avions beaucoup aimé dans leur précédent spectacle Coupures. Ils ont cherché leur inspiration dans l’actualité économique et politique, lu les rapports de moult commissions ministérielles, interviewé des membres d’associations, d’anciens membres de cabinets ministériels, des consultants et … regardé des films et des séries. Avec toute cette documentation, ce pourrait être plombant, mais pas du tout ! Sur ce sujet sérieux, tout en étant éclairant leur texte est acide, grinçant et drôle. Les rebondissements abondent, les quiproquos s’enchaînent, chacun cherche sa sortie du tunnel, le directeur de l’usine délocalisée, la déléguée syndicale, le repreneur cynique ou la Ministre de l’économie future candidate à la présidentielle. Les ouvriers ne sont pas tous d’accord, le repreneur mène deux négociations en même temps et se retrouve avec une veste mauve qui fait douter les ouvriers de sa qualité d’homme d’affaires, les media s’en mêlent et Émile apprend. On touche au burlesque et c’est grandiose ! Dans ce monde cynique dont il ne maîtrise pas les règles, Émile, tel un Charlot contemporain, tente de trouver des solutions. Il cherche d’abord à se sauver lui-même puis rêve de plus, sauver ses collègues, l’usine et pourquoi pas le made in France ? Mais il n’est qu’un prisonnier en réinsertion par le travail !
Samuel Valensi et Paul-Eloi Forget signent aussi la mise en scène. Ils ont eu la très bonne idée de placer une batterie au centre de la scène. La batteuse (Chloé Denis ou Mélanie Centenero) s’y déchaîne au rythme des machines suivies avec plus ou moins de peine par les ouvriers, elle couvre le bruit des paroles ou s’arrête nous laissant avec l’ambiance feutrée des bureaux ministériels ou les inquiétudes des ouvriers et d’Émile. Elle se fait accompagnement d’une comédie qui s’emballe. Les deux auteurs et metteurs en scène se font aussi acteurs. Paul-Eloi Forget campe un Émile à l’air naïf qui comprend vite et s’adapte, accroché à son but, mais reste le quidam malmené. Samuel Valensi incarne le repreneur sans scrupule. Autour d’eux les membres habituels de la compagnie La Poursuite du bleu (June Assal, Michel Derville en alternance avec Bertrand Saunier, Thomas Rio en alternance avec Paul-Eloi Forget et Valérie Moinet) incarnent avec conviction les autres personnages nous menant dans cette histoire à un train d’enfer.
Du théâtre populaire, décalé, drôle, généreux, à consommer sans modération.
Micheline Rousselet
Jusqu’au 29 avril au Théâtre de Belleville, 16 Passage Piver, 75011 Paris – les lundis et mardis à 21h15, le dimanche à 20h – Réservations : 01 48 06 72 34 ou theatredebelleville.com – Tournée : du 5 au 26 juillet au 11 dans le cadre du festival Off d’Avignon, en novembre 2025 au Théâtre de la Concorde à Paris, en janvier 2026 aux 3T- Théâtre du Troisième Type à Saint Denis, en 2026 aussi à Alfortville, Conflans-Sainte-Honorine, Saint-Cloud
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