Un homme, H1, vient rendre visite à un ami de longue date, H2. Ils ne se sont pas vus depuis un certain temps et H1 soupçonne qu’il y a quelque chose entre eux qui s’est rompu, mais il ignore quoi. H2 le nie puis reconnaît quelque chose … mais « ce n’est rien ». Finalement ce rien c’est H1 qui lui aurait dit, alors qu’il se vantait d’une petite réussite sans importance, « C’est bien, ça » en insistant sur le « bien » et avec « un suspens avant le ça ». Cette révélation enclenche une machine infernale. Toutes les explications, les tentatives pour éclairer ce « c’est bien ça » deviennent source de nouveaux différents, de nouveaux ressentiments. Toutes les petites phrases, les petits mots sans importance réveillent les rancœurs, les blessures cachées et une belle amitié se termine pour un oui ou pour un non.
Nathalie Sarraute est une orfèvre des mots et des silences. Soulevant le masque des non-dits, elle fouille les failles de la conversation, cherche à découvrir ce qui n’est pas dit d’ordinaire, pousse à s’interroger sur ce qui est vraiment dit, s’engouffre dans la brèche provoquant aussi bien le rire que la peur devant le pouvoir des mots. Chacun des deux hommes est à l’écoute des mots de l’autre, du moindre silence et de la moindre intonation. Des petites choses, des « choses sans importance » qui n’avaient jamais été dites, reviennent à la surface et c’est un véritable tsunami ! La situation devient kafkaïenne. L’auteur imagine l’intervention possible d’un tribunal pour régler le litige et dire si H1 a raison de vouloir rompre leur amitié. Et si on faisait appel aux voisins ?
Pour se lancer dans ce ping-pong verbal, il faut de très bons acteurs. Gabriel Le Doze est H1, assis, calme une tasse de thé à la main, il essaie de comprendre ce qui se passe. Il est sûr de lui, de son amitié pour H2. Bernard Bollet est H2, moins ouvert, semblant chercher à exprimer ce qu’il ressent sans très bien y arriver, plus anxieux sur ce qu’il convient de faire et révélant toutefois s’être lancé devant un tribunal, qui l’a débouté, si bien qu’il a désormais le casier judiciaire de celui qui rompt pour un oui ou pour un non ! Tous deux sont formidables, la voix claire, laissant des petits moments de silence ou accélérant un peu quand il le faut. Anne Plumet et Rémy Jouvin, s’appuyant à la barre de l’entrée de scène comme des témoins appelés à la barre dans un tribunal, donnent à l’intervention des voisins appelés à trancher, un ton qui oscille entre l’absurde et le loufoque, avant de conclure « Oh mais vous savez, nous n’avons aucune compétence » !
Admirablement dit par ces acteurs ce texte de Nathalie Sarraute réveille en chaque spectateur des souvenirs car qui n’a pas un jour connu le chagrin d’une amitié qui se rompt pour un je ne sais quoi, pour un oui ou pour un non.
On ne peut que conseiller aux enseignants d’y emmener leurs élèves, d’autant plus que cette pièce s’insère dans un cycle Nathalie Sarraute avec une lecture d’ Enfance le 11 septembre à 19h, une lecture spectacle de Le mensonge les18 et 25 septembre à 19h, une mise en scène de Elle est là du 2 octobre au 6 novembre, les mercredis à 19h et enfin une lecture mise en espace de Isma les 13 et 20 novembre à 19h.
Micheline Rousselet
Les jeudis, vendredis et samedis à 19h
Manufacture des Abbesses
7 rue Véron, 75018 Paris
Réservations : 01 42 33 42 03
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