C’est lors d’un dîner chez un couple de bourgeois de Senlis, probablement en 1912, que le collectionneur et marchand d’art allemand Wilhelm Uhde découvre les peintures que réalise leur femme de ménage, Séraphine Louis. Cet esthète, qui a découvert et contribué à faire connaître Picasso, Braque et le Douanier Rousseau, est séduit par la touche picturale affolée de Séraphine, ses bouquets de fleurs gorgés de lumière et de couleurs comme un avant-goût du paradis. Isolée et dans le plus grand dénuement elle peint le soir à la bougie avec des peintures achetées chez le marchand de couleurs du coin, auxquelles elle mêle du sang, de la terre. Il lui propose de vendre ses toiles dans sa galerie. Entre eux se tissent des liens complexes. Elle est schizophrène, se dit inspirée par la Vierge et par son Ange, parle d’un fiancé imaginaire, entend des voix qui se moquent d’elle et l’insultent. Lui parle art, marché de l’art et lui promet la richesse. Elle ne comprend pas mais voit en lui quelqu’un qui la comprend, un ami qui l’écoute. En fait elle sera déstabilisée par sa réussite. Comme mue par un sentiment de culpabilité, elle se hâtera de dissiper l’argent qu’il lui verse et leur relation ne résistera pas à son enferment progressif dans la folie.
Patrice Trigano, lui-même collectionneur et galeriste, a choisi de faire raconter la vie tragique de Séraphine par Wilhelm Uhde, celui qui la découvrit. Rencontre de deux êtres appartenant à des mondes a priori étrangers l’un à l’autre et tous deux marginalisés, lui par son homosexualité, qui le fit exclure de son pays par les Nazis, puis être traqué et caché dans la France occupée, elle de plus en plus enfermée dans la folie, internée et morte, probablement de faim, en 1942.
Josiane Pinson, autrice et comédienne par ailleurs, met en scène la pièce. Le décor évoque la pauvreté de la chambre de Séraphine avec ses cadres vides, ses peintures éparpillées, la statue de la Vierge, une lessiveuse, un seau hygiénique, des linges qu’elle voit comme son trousseau. Quand la pièce démarre Uhde dans son fauteuil commence à se souvenir de l’artiste en écoutant La romance de Nadir, extraite des Pêcheurs de perles de Bizet. La romance, qui parle de souvenir, reviendra plusieurs fois dans la pièce et la clôturera tandis que Uhde de dos contemple les peintures de Séraphine projetées en fond de scène, vibrantes de couleurs et de lumières.
Laurent Charpentier a l’élégance discrète et le charisme qui conviennent à un marchand d’art. Il a aussi la fragilité d’un homme poursuivi pour son orientation sexuelle, rejeté par son pays mais aussi en France pendant la guerre. Marie-Bénédicte Roy incarne une Séraphine « habitée » comme la caractérise Wilhelm Uhde, mystique, troublante, démunie et pourtant sûre de son talent, même si elle dit que c’est la Vierge qui l’inspire, violente quand elle s’enfonce dans la folie.
Une pièce qui interroge les rapports de l’art et de la folie avec ce personnage bouleversant qu’est Séraphine de Senlis et la beauté troublante de ses œuvres.
Micheline Rousselet
Spectacle vu au Studio-Théâtre Hébertot en avant-première du Festival Off d’Avignon – du 7 au 29 juillet à à 18h35 à l’Espace Roseau Teinturiers, 45 rue des Teinturiers, 84000 Avignon – Relâche les mardis 11, 18 et 25 juillet
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