Astride Bayiha à l’adaptation, à la dramaturgie et à la mise en scène, a judicieusement réuni 7 versions de Médée des plus anciennes aux plus récentes : celles d’Euripide, de Sénèque, de Corneille, de Jean Anouilh, d’Heiner Müller, de Jean-René Lemoine, de Dea Loher et de Sara Strisberg. Elle nous offre une pièce mosaïque contemporaine, chorale, lumineuse et non dénuée d’humour de ce mythe. Dans un travail de troupe, le chant et les jeux des comédiens se mêlent sans rien trahir. Elle nous propose une véritable invitation au voyage et à l’introspection dans le temps, l’espace et la poésie dans lequel résonnent les malheurs de l’exil tellement d’actualité en référence à toutes les migrations, cette fuite vers un espoir aléatoire.
Le spectacle s’ouvre sur une mélopée de Swala Emati, berceuse en langue créole, dans un décor évocateur de nef antique (trois voiles au bout d’un plancher qui en forme le ponton), sorte de vaisseau fantôme errant d’exil en exil, de palais princier ou d’agora où le peuple (la salle) est pris(e) à témoin de ces échanges à couteaux tirés. Un coryphée espiègle témoin des ragots du Palais, interprété magistralement par l’immense Nelson-Rafaell Madel, est le lien constant avec le public.
Médée est multiple et les trois comédiennes, Fernanda Barth, Jann Beaudry et Daniela Francisque, toutes formidables, incarnent avec une grande justesse sa passion démesurée, sa colère, sa violence, son désespoir, sa folie. Elles font face à deux Jasons : Josué Ndofusu étonnant de détachement et de cynisme et Anthony Audoux calculateur et lâche à l’argumentaire douteux ne défendant que son bon plaisir masculin toxique.
C’est une femme moderne révoltée par la trahison de Jason à la veulerie sans borne qui la répudie pour épouser, Créuse, la fille du Roi Créon, par calcul et égoïsme. Par amour pour lui, elle a tout sacrifié : elle a tué son frère et son père, aidé Jason à conquérir la toison d’or, abandonné sa patrie. La lâcheté de Jason l’amène à commettre l’irréparable : après avoir éliminé sa rivale, elle tue leurs deux enfants et se condamne à une errance sans fin.
Les textes, périodes, langues, personnages et chants sont frappants de diversités. Il faut saluer le formidable travail de composition des chants de Swala Emati à la voix extraordinaire et qui avec les autres comédiens forme un merveilleux chœur aussi antique que moderne.
La mise en scène d’Astride Bayiaha est d’une justesse et d’une harmonie exceptionnelle .Elle réussit à rendre cohérent ce spectacle en tissant les différents textes et à les unir dans une pièce chorale volontairement emprunte de diversités : 7 acteurs venus de Martinique, d’Afrique, du Moyen Orient, du Brésil et de France. Elle montre ainsi que ce mythe est universel et qu’il touche le monde entier dans une polyphonie subtile et superbement interprétée par une troupe engagée. L’ éclairage (lumières de Jean-Pierre Nepost) emprunt de contrastes entre ombre et lumière reflète les contradictions de l’âme humaine.
Astrid Bayiha nous invite à revisiter le mythe. Médée n’est pas la barbare, la sauvage, la folle furieuse, la sorcière que Jason nous dépeint se dédouanant ainsi de sa trahison et de sa violence masculine. Toutes les femmes amoureuses, exilées, anéanties par la trahison de l’être aimé peuvent comme Médée devenir monstrueuses et infanticides.
Astrid Bayiha nous offre un magnifique travail en tout point réussi, un grand moment de théâtre qu’il faut absolument voir et entendre sans modération.
Frédérique Moujart
Jusqu’au 25 novembre du mardi au samedi à 20h et le dimanche à 16h -Théâre de la Tempête Cartoucherie, Route du Champ de Manœuvre, Paris 12ème – Réservation : 01 43 28 36 36 ou www.la-tempete.fr
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