Un loto en province, c’est avant tout une grande soirée festive et populaire où l’on vient moins pour gagner un jambon à l’os, une poubelle de salle de bain ou des boules de pétanque que pour s’amuser, rigoler, se retrouver entre gens du coin. Mais ce soir, c’est d’autres retrouvailles dont il s’agit, l’animateur de la soirée va revoir sa fille adoptive qui, en fin d’études de cinéma, a décidé de faire un documentaire sur le loto de son père. Arnaud Bichon est une vedette réputée dans le Haut-Rhin, au verbe haut en couleurs, moqueur, un peu bonimenteur. Bénédicte est une grande fille un peu en colère contre les penchants alcooliques de son paternel mais désireuse de le retrouver dans le regard neuf de sa caméra. Entre les deux une différence de couleur de peau, brune d’un côté, beige tirant au rouge de l’autre. Le tout baigné dans une lumière jaune citron aussi criarde que chaleureuse de Thierry Gonthier. Tout le spectacle se construit sur de multiples différences, altérités, hétérogénéités voire lignes de fractures qui seront dépassées, conciliées, ressoudées. Pour commencer, la séparation entre salle et scène est subvertie par un dispositif en immersion partielle : les spectateurs qui le souhaitent sont invités à figurer les participants au jeu en prenant place à des tables disposées en rangées entre les gradins et le podium, avec cartes de loto et timbales de grains de maïs déjà réparties. La tension entre le père et la fille assez rude au début sera dépassée dans une déclaration d’amour réciproque. Leur échange nous aura appris l’histoire magnifique, tragique et héroïque de cette adoption sans maman. Si le père a tenté de noyer son désespoir, c’est davantage dans l’ivresse des soirées qu’il anime sans relâche que dans le pastis. Auto ou loto-thérapie. L’intervention inopinée d’une association de danseurs de Madison ayant également réservé la salle des fêtes ajoutera un conflit qui sera finalement pacifié en musique. Cinéma et spectacle vivant souvent opposés se confrontent dans la rencontre. Néanmoins, les événements produiront un lâcher-prise faisant oublier le film qui deviendra la mémoire de cette soirée un peu folle.

Et le loto dans tout ça ? Il est partout et plus qu’on ne croit. La scénographie de Rémy Barché fait illusion, on s’y croit. Il est aussi dans le texte de Baptiste Amann qui manie le double sens. D’entrée de jeu l’animateur du lieu nous avait dédouané de toute honte d’y participer et surtout prévenu : « c’est un loto au-delà du loto. » Métaphysique du Loto? Il est certes question du hasard dans l’existence – sans lequel il n’y aurait pas de chance – mais la soirée tourne plus à la farce tragi-comique qu’à la conférence rébarbative.

En réalité, Arnaud Jolibois-Bichon et Bénédicte Mbemba accompagnés d’un groupe de volontaires jouant les danseurs et le personnel municipal mettent en acte au beau milieu des spectateurs attablés une parabole, la parabole du loto. La vie comme un loto géant : « Le hasard s’applique à tous avec une même injustice », c’est-à-dire de façon aveugle et non intentionnelle. Faut-il croire en une destinée toute tracée de nos êtres ou plutôt saisir les moments de vie qui se présentent comme on tire des jetons de loto ? Tous les tirages ne nous sont pas favorables, il faut faire avec ou sans. Pour ceux qui le sont, il faut encore être attentif et ne pas rater l’annonce du numéro gagnant, saisir l’opportunité. En définitive, la chose la plus déterminante est notre attitude, notre réactivité, notre capacité à rebondir. Rien n’est jamais perdu complètement et gagner ne suffit pas !

C’est bien ce qui se passe sur scène : les failles, les ennuis, les contrariétés qui viennent mettre en danger la fête programmée sont finalement retournés en autant d’occasions de liens renoués, de rencontres fructueuses et d’expériences réussies.

Ce soir-là nous avions le bon billet, celui permettant de vivre un moment de théâtre au-delà du théâtre…     

Jean-Pierre Haddad

Théâtre Ouvert, 150 avenue Gambetta, 75020 Paris – Jusqu’au 17 décembre. Lundi, mardi, mercredi à 19h30. Jeudi, vendredi, samedi à 20h30, relâche le 12 décembre. Infos et réservations 01 42 55 55 50 ou resa@theatreouvert.com

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