Comment échapper à une mère toxique ? Par la fuite ? C’est utile mais pas suffisant car cette toxicité vous suit partout, elle est incorporée, « dans la tête ». Peu importe le jugement négatif de son entourage, Tana a tout quitté, mère, lycée, ville et copines pour se reconstruire ailleurs, autrement. Seule Apolline, sa meilleure pote, fera lien avec son passé. Et elle devra se déplacer, aller vers Tana car ce genre de départ n’a pas de marche arrière. Tout recul sera un faux pas, possiblement fatal. Tana s’inscrit à un C.A.P de couture puis de broderie et là, malgré les conditions de vie au début difficiles, le travail acharné va lui ouvrir la voie d’une émancipation, un peu comme si chaque point de couture appris et maîtrisé – point piqué, point sauté, droit ou de bordure, etc. – décousait les fils serrés du tissu maternel jusqu’à lui permettre de couper un cordon ombilical empoisonné avec ses grands ciseaux de couturière. « Je couds donc je suis » tel serait le cogito libérateur de Tana si on entend bien que cette couture nécessite de découdre ! Coudre est aussi un geste réparateur en chirurgie ! Ici la couture devient mime forcé puis jubilatoire, ballet de mains dessus-dessous. Détisser pour tisser. Détruire pour construire. Dualités dans lesquelles se débat Tana mais dont elle sortira victorieuse et joyeuse par la grande porte de la création : une broderie en lettre d’or « je ne crains plus rien ! »

Ce spectacle mis en scène par Laurent Fréchuret a la simplicité d’un conte et la violence salutaire d’une bataille menée au dedans de soi. Quant au texte de Simon Grangeat, il semble construit selon une esthétique rap : dialogues intérieurs, affrontements de points de vue, lutte de valeurs et solution (ici positive), le tout dans une rythmique soutenue. Sur le plateau nu, un unique meuble, une chaise haute et tournante, Tana sera sur la sellette mais aussi celle qui assène les questions, met en difficulté. La mère absente tente l’omniprésence par une voix off résonnant comme des bruits assourdissants dans la psyché de la fille interprétée par Louise Bénichou. En face, Appoline la copine, jouée par Alizée Durkheim-Marsaudon est le fil ténu mais résistant que Tana veut bien conserver de son passé. Les deux jeunes comédiennes énergiques et justes sont porteuses d’un beau talent. L’effet d’un tel spectacle sur les classes de collégiens et de lycéens devant lesquelles il a été déjà plusieurs fois présenté et même répété, a dû être puissant. Il a sans doute suscité des échanges passionnés et utiles, peut-être des libérations de paroles, voire en actes.

Un tel projet de théâtre puise aux racines de cet art : la représentation de tout ce qui fait nos vies et le tissage de liens, non seulement entre scène et salle mais aussi entre tous les membres du corps social dont le théâtre devrait être une fréquentation permanente comme dans l’Antiquité.

Citons Laurent Fréchuret citant Alain Badiou : « Le théâtre est la recherche d’une esthétique de la fraternité. »

Il faut aller applaudir cette Infâme qui parvient à se faire femme.

Jean-Pierre Haddad

Avignon Off au Théâtre Artephile, 7 rue Bourg Neuf, 84000 Avignon. Du 07 au 26 juillet à 16h40. Informations et réservations : 04 90 03 01 90 et https://www.vostickets.net/billet/PGE_MUR2_WEB2/zA0AABuIyl0mAA

Relâche les 13 et 20 juillet.


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