
Laurent Fréchuret, le metteur en scène, a fondé en 1994 la compagnie Le Théâtre de l’Incendie et depuis 2019, il est associé au Centre Culturel de la Ricamarie (42) pour écrire et développer les dynamiques autour des écritures d’aujourd’hui. En 2022, il a l’excellente idée de commander à Simon Grangeat une pièce avec deux comédiennes d’une durée de 45 min pour qu’elle puisse se jouer dans les collèges et les lycées entre les deux sonneries de cours. Les contraintes loin de brider la créativité la décuplent. Baudelaire disait : Parce que la forme est contraignante, l’idée jaillit plus intense. Cette limite temporelle donne toute sa force à ce très beau spectacle. On ne s’ennuie pas une seule minute. On est embarqué dès les premiers mots dans cette histoire de brodeuses, de couturières, de tisseuses, de fils noués et de fils coupés, histoire inventée lors d’une résidence de création dans le collège des Bruneaux à Firminy et dans le lycée de la mode Adrien Testud au Chambon-Feugerolles.
Tana, qui n’a pas encore 16 ans, a quitté sa mère toxique et s’est placée en apprentissage chez une couturière pour survivre. Sa patronne la loge en échange d’heures supplémentaires à l’atelier et lui apprend les techniques de la couture et de la broderie. Avec l’aide de sa patronne et de sa meilleure amie, Apolline, sa totale opposée, elle va petit à petit, grâce aux heures de travail solitaire dans le silence, se libérer de ses terreurs enfantines, renoncer à se croire fautive de tout ce qui lui arrive, gagner en assurance et réussir à être elle-même, une jeune femme libre qui ose affronter sa mère et couper le cordon ombilical.
Les deux comédiennes , Alizéee Durkheim-Marsaudon (Apolline) et Louise Bénichou (Tana) sont formidables. Alisée Durkeim-Marsaudon joue une jeune femme enjouée, d’un milieu social assez favorisé, pleine de vie qui malgré son tempérament opposé à celui de son amie et les rebuffades de Tana ne va pas l’abandonner. Elle l’aide, l’encourage, la félicite et lui renvoie une image positive d’elle. Louise Bénichou est une Tana humiliée, profondément blessée, habitée d’une violence farouche qui se débat et lutte avec elle-même, contre elle-même pour écrire sa vie. Les mots « texte » et « tissage » ont la même étymologie. C’est en tissant qu’elle va se créer : les fils s’entrelacent comme les mots pour dire qui elle est. Guidée par le metteur en scène Laurent Fréchuret, Louise Bénichou chorégraphie le travail de couture et de broderie qui se matérialise sous nos yeux. Elle choisit sa famille : son amie et sa patronne.
La mère est présente en voix off de Flore Lefebvre des Noëttes. Cette idée et l’absence précise des raisons pour lesquelles sa mère rendait malade Tana laissent libre cours à l’imaginaire des spectateurs. Les paroles doucereuses de la mère qui deviennent violentes, blessantes peuvent être celles d’une mère toxique ou les fantasmes de Tana.
Un spectacle à voir qui nous touche profondément. Allez-y avec vos ados, avec vos élèves. C’est une très belle histoire d’émancipation.
Frédérique Moujart
Jusqu’au 2 mars, le mercredi et le vendredi à 21h, le dimanche à 18h – Théâtre de La reine Blanche, 2 Passage Ruelle, Paris 18ème – Réservations : 01 40 05 06 96 ou reservation@scenesblanches.com
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