Nour est dans un bon lycée qu’elle a choisi en accord avec son père. C’est une bonne élève. Dans le cadre d’un travail de théâtre avec son professeur de français, elle est amenée à jouer Antigone et décide de jouer son monologue voilée. Trouble au lycée chez les enseignants, la CPE et la proviseure. Tous tentent de la convaincre ou de comprendre ses motivations, mais Nour s’obstine et la proviseure décide de la convoquer devant un conseil de discipline. L’équipe pédagogique se divise, les préjugés apparaissent au grand jour, les réseaux sociaux s’enflamment et attirent les media. C’est le choc.

Lauren Houda Hussein et Ido Shaked, cofondateurs du Théâtre Majâz, ont eu l’idée de ce spectacle lors d’une résidence à Saint-Denis, où ils répétaient leur précédent spectacle Eichmann à Jérusalem ou les hommes normaux ne savent pas que tout est possible. Ce travail leur a donné l’occasion d’animer des ateliers avec des scolaires du département. Ils l’ont ensuite poursuivi, autour d’Antigone et de la notion de transgression, dans un lycée professionnel et un lycée d’enseignement général du Val d’Argenteuil. Des discussions avec les élèves sont sorties d’autres visions, entre autres celle d’une Antigone, plaçant au cœur de sa lutte la question de la transmission des traditions et de la religion dans un état laïc comme le nôtre. Aux yeux de ces jeunes filles le voile représentait plus que le signe d’une pratique religieuse, il signait un lien avec leur passé familial.

Sur scène des tables et des chaises donnant l’image de la salle des professeurs ou de la salle du conseil de discipline. Les échanges sont très vivants et très justes. Les professeurs existent, avec leurs problèmes personnels, mais très vite la question de l’attitude de Nour devient la question essentielle. Parfois comme en écho les personnages de Sophocle s’invitent dans les dialogues. Dans les interventions, on entend la voix de ceux qui sont au départ un peu indifférents, de ceux qui refusent de s’en tenir à une crispation sur une conception rigide de la laïcité, du prof de philo rappelant l’interprétation par Lacan du personnage d’Antigone comme celle qui fait entrer les liens du sang dans l’ordre social, de la CPE qui rappelle les bases de la loi de 2004 interdisant le voile à l’école et de la loi de séparation de l’Église et de l’État de 1905, et enfin de la proviseure qui apparaît en gardienne de la loi et de l’ordre au lycée. Porté par un groupe de comédiens très justes, Charlotte Andrès, Laurent Barbot, Anissa Daaou, Lauren Houda Hussein, Dan Kostenbaum, Arthur Viadieu et Noémie Zurletti, le texte écrit avec la complicité des comédiens accroche le spectateur. Rien ne manque au petit théâtre du conseil de discipline, le représentant des parents d’élèves qui agace en suggérant que le professeur de français, trop jeune et enthousiaste, aurait dû éviter de faire du théâtre avec ses élèves, les professeurs désemparés qui, comme le père de Nour, parfaitement intégré, cherchent à comprendre et Nour qui se tord les doigts et pleure. Il y a des moments drôles, la CPE change prestement de chaise pour devenir la représentante des élèves, la proviseure tente de se calmer avec une séance de méditation où on lui demande de s’imaginer en coquelicot ou en poisson ! Mais il y a surtout de l’émotion et de la réflexion. Nour n’est pas une militante. Elle rappelle à la proviseure qu’elle est française, qu’elle va au café. Ce n’est pas un geste religieux qu’elle accomplit, mais une revanche sur toutes les inégalités subies et l’affirmation d’un lien avec son héritage familial traditionnel. Mais ce discours sommes-nous prêts à l’entendre ?

Micheline Rousselet

Jusqu’au 18 décembre au Grand parquet, 35 rue d’Aubervilliers, 75018 Paris – du mardi au samedi à 19h, le dimanche à 15h30 – Réservations : 01 40 03 72 23 –

En tournée ensuite : 12 et 13 janvier à l’Azimut Antony, Châtenay-Malabry, 20 janvier au Théâtre Jean Vilar d’Aubusson, 17 mai au Théâtre de Charleville Mézières

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