Dans la Venise du XVIIIème siècle, les fêtes se succèdent. Musiciens, chanteurs d’opéras, danseurs abondent à la recherche de contrats et il y a toujours des intermédiaires prêts à les aider. On apprend qu’un Turc venu pour ses affaires a promis à ses amis d’Istanbul de leur ramener ce qui se fait de mieux sur les scènes vénitiennes. Le comte Lasca en informe trois cantatrices de ses amies en leur faisant promettre le secret, que bien sûr aucune ne va respecter. Il y a d’abord la Vénitienne Tognina. Vu son expérience, elle estime que le rôle de prima donna lui est naturellement destiné et informe du projet Pasqualino son amant, un ténor qui l’accompagnera. Mais sur les rangs il y a Annina, sa concurrente bolognaise qui compte, grâce à sa jeunesse, l’évincer. Une troisième candidate s’annonce, une Florentine Lucrezia, qui avoue ne pas connaître grand chose à la musique, mais compte sur sa beauté et sa distinction pour remporter le combat. C’est une question d’honneur, de rang et de cachet. Si on leur ajoute un castrat Carluccio, persuadé d’avoir une voix exceptionnelle, et un mauvais poète librettiste à ses heures, Maccario, tous les personnages de cette comédie de Goldoni sont réunis pour ce qui s’annonce un match serré, où tous vont s’écharper. Bien sûr personne ne partira pour Smyrne, mais le Turc magnanime leur a laissé 2000 ducats de dédommagement avec lesquels, s’ils s’entendent, ils pourront lancer un nouveau projet. Et on retrouve là quelques extraits du théâtre comique du même Goldoni qu’Agathe Mélinand a ajouté pour son adaptation.

Pour abriter ce petit monde, où tous font assaut de vanité et d’exigences, un grand cadre doré domine la scène, mais il est posé tout de guingois, signe que tout ne va pas si bien et que ces musiciens sont aux abois. Le scénographe et metteur en scène Laurent Pelly a gardé de la commedia dell’arte, dont Goldoni peut être considéré comme l’inventeur, les visages poudrés et les habits noirs de cour du XVIIIème siècle. Seul le marchand de Smyrne, qui ressemble au Brésilien de La vie parisienne d’Offenbach, porte un costume blanc, un panama, fume un cigare et semble plus attiré par les femmes que par la musique. Les personnages passent comme installés à bord d’une gondole qui glisserait sur les canaux vénitiens. A demi dissimulé en fond de scène les musiciens de l’ensemble Masques font vibrer clavecin, violon et violoncelle.

Mise en scène et comédiens s’allient dans le registre de la comédie. Le castrat (Thomas Condemine) fait assaut d’arrogance, de glapissements et de jeux de jambes excentriques pour tenter de convaincre le marchand (Eddy Letexier) de l’embaucher alors que celui-ci déteste son côté efféminé et le voit plutôt en eunuque du palais impérial. Antoine Minne incarne le librettiste Maccario, veule courtisan que tous méprisent. Damien Bigourdan campe le ténor que Tognina traite comme un valet. Le comédien montre ses qualités de chanteur en interprétant une romance amoureuse tirée de Pâris et Hélène de Gluck. Restent enfin les cantatrices. Jeanne Piponnier est Lucrezia. Elle ne chante pas. Son personnage a d’ailleurs dit qu’il ne connaissait pas grand chose à la musique. Elle se contente d’être jolie et distinguée avec son perroquet en cage. Comme à l’origine L’impresario de Smyrne était un livret d’opéra, Laurent Pelly a mis de la musique, faisant appel à deux comédiennes aussi cantatrices. Julie Mossay campe une Annina à la langue bien pendue qui s’affirme sûre d’elle dans Stizzoto, mio Stizzoto, de Pergolese. Natalie Dessay montre ses qualités de comédienne dans le personnage de Tognina, dominatrice et convaincue de son talent, maltraitant son ténor d’amant et pourtant pressentant que, l’âge venant, elle n’est plus sûre d’être sans conteste la prima donna. Natalie Dessay le reste en éblouissant les spectateurs dans l’émouvant Sposa son disprezzata du Bajazet de Vivaldi.

Ce « burlesque hommage à un bûcher des vanités transcendé par la musique », comme le qualifient Laurent Pelly et Agathe Mélinand, est une très belle réussite.

Micheline Rousselet

Jusqu’au 5 mai à l’Athénée – Louis Jouvet, 2-4 square de l’Opéra Louis Jouvet, 75009 Paris – du mardi au vendredi à 20h, le samedi à 16h et 20h, le dimanche à 16h – Réservations : 01 53 05 19 19 ou www.athenee-theatre.com

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