Nous sommes au Lycée Frédéric Mistral d’Avignon où Le 11 tient annexe théâtrale. Une salle de classe est une scène sociale. Le prof y est en représentation de lui-même et de son savoir ; son texte, c’est son cours mais l’analogie s’arrête là car son public est captif dans le meilleur des cas, captivé ! La salle de cours devient véritablement théâtre, jeu au tableau voire sur le bureau, public assis à la place des élèves. Le spectacle durera exactement le temps d’une séquence de cours, cinquante-cinq minutes entre deux sonneries. Format nécessaire puisque Liberté écrit par Yann Verburgh et mis en scène par Frédéric R. Fisbach a d’abord été joué en lycée et façonné par les improvisations des comédiens Sophie Claret et Nicolas Dupont qui n’ont pas dû quitter les bancs de l’école depuis très longtemps ! Cette mini-série théâtrale de dix épisodes met en scène plusieurs personnages propres au milieu scolaire autour de l’histoire de Nicolas, élève en rupture de ban : sa prof d’histoire-géo avec laquelle il a eu un accrochage violent sur la liberté d’expression peu après l’assassinat de Samuel Paty, un collègue en salle des profs, une copine de Nicolas qui mate les filles comme lui, un père dépassé et bien sûr un proviseur surmené. Mais en même temps, il sera question de la difficulté à vivre une adolescence sans maman, à vivre un métier qui demande beaucoup d’engagement personnel et procure peu de reconnaissance, à vivre une école dépassée par une société de compétition individualiste et de faux-semblants.
Une des grandes réussites de ce spectacle est sa dimension immersive. Elle paraît naturelle car chacun de nous, public de théâtre, a d’abord été public d’école. Nous retrouvons assez naturellement la salle de cours mais en même temps pour ceux qui « n’ont plus vingt ans », c’est une école bien différente qui nous apparaît. Une école en crise de légitimité dont on fait le débat médiatique régulièrement mais que les politiques laissent s’enfoncer dans sa crise quand ils ne s’en font pas les fossoyeurs !
Une autre réussite et pas la moindre, c’est la vivacité, la fraîcheur et la justesse de jeu des comédiens qui à eux deux font vivre en les incarnant avec seulement quelques secondes de battement entre chaque épisode, toute une galerie de personnages ; Sophie Claret incarnant principalement Sophie, la prof d’histoire et Nicolas Dupont, le jeune Nicolas. Les deux comédiens ont donc à la scène leur propre prénom sauf quand ils jouent un autre personnage. Gageons qu’en plus de signaler par là leur part active dans l’écriture par leurs improvisations, cela leur permet de changer plus facilement de rôles pouvant les endosser rapidement « en surface » mais suffisamment pour les rendre crédibles en particulier les deux principaux. Bravo pour cette gymnastique et pour la qualité de leur jeu !
La série se termine par un épisode dans lequel Nicolas fait un exposé très libre dans sa forme, pas du tout scolaire mais très pertinent. Par-là, une réconciliation que l’on n’espère pas utopique entre profs, élèves et institution s’esquisse. C’est toute la pièce qui est cependant une exposition crue et immédiate pour les comédiens, tant le quatrième mur cède la place aux quatre murs de la salle de cours entre lesquels acteurs et public sont réunis comme un groupe-classe sur un même thème à travailler ensemble.
Nul doute que le théâtre hors-les-murs a la capacité de devenir un acteur social, original et stimulant. Liberté de Yann Verburgh et Frédéric R. Fisbach en apporte la démonstration au tableau !
Jean-Pierre Haddad
Avignon – Off, Le 11, Bd Raspail, Espace Mistral. Du 09 au 26 à 10h45. Relâche les 13 et 20 juillet. Informations et réservations : 04 84 51 20 10 & https://11avignon.mapado.com/event/216966-liberte
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