Nous avions vu Geneviève de Kerkabon en 2021 dans Céleste où elle s’inspirait de sa propre vie de circassienne qu’elle racontait en plusieurs tableaux. Elle nous faisait partager avec justesse et virtuosité sa nostalgie d’un cirque aujourd’hui disparu sans en cacher la dureté, les risques démesurés et la violence.
Geneviève de Kermabon nous revient avec cette adaptation du roman de Victor Hugo L’Homme qui rit. Circassienne, elle se fait ici conteuse et nous entraîne dans les aventures de Gwynplaine, enfant orphelin au visage mutilé par les Comprachicos qui lui ont fait un rictus permanent et ridicule. Abandonné par ses tortionnaires sur les côtes anglaises, il sauve Déa, bébé aveugle qu’Ursus et son loup Homo vont accueillir dans leur baraque de forain et bateleur. Quelques années passent et Gwynplaine joue avec Déa maintenant adolescente dans un spectacle monté par leur hôte et remporte un grand succès à Londres. Dans une deuxième partie, Gwynplaine est attiré par la sœur de la reine qui veut en faire son amant. La reconnaissance de la lignée prestigieuse de ce monstre qui va devenir Lord va mettre fin au fantasme de la sœur de la reine qui n’en veut pas comme époux. Après une intervention toute hugolienne à la chambre des Lords qui refuse son engagement pour la justice envers les plus démunis, Gwynplaine quitte la pairie et retourne auprès d’Ursus et Déa. La fin sera tragique.
Ce qui frappe dans cette « adaptation à l’os » de l’œuvre de Victor Hugo c’est le talent de conteuse que Geneviève de Kermadon nous révèle. Seule en scène sur fond noir, vêtue d’un costume avec sa belle chevelure rousse, elle nous conte les différentes étapes de cette histoire. Côté jardin et côté cour sur deux grands panneaux transparents sont esquissés les contours nus des personnages. En grande comédienne de théâtre, Geneviève de Kermabon interprète judicieusement les différents personnages dans des gestuelles et des postures spécifiques tout en assurant son rôle de conteuse. L’éclairage tout en nuances d’Alireza Kishipour et la musique discrète qui accompagne le spectacle nous enveloppent et nous entraînent au cœur de ce récit.
Victor Hugo est bien là et la comédienne nous restitue ses grandes interrogations, son engagement et son humanisme. L’Homme qui rit est une belle personne contrairement aux riches à l’âme si laide. Le grand masque en céramique et verrerie qu’elle anime vers la fin est d’une grande beauté plastique et les paroles que la comédienne fait sortir de sa bouche sont d’une générosité toute hugolienne.
C’est la force de ce spectacle qui nous transmet avec une grande sincérité les indignations de ce qu’on appelle aujourd’hui un lanceur d’alerte. Un spectacle à voir et à écouter sans modération.
Frédérique Moujart
Jusqu’au 4 novembre, les lundis à 21h – Théâtre de Poche Montparnasse, 75 bd du Montparnasse, Paris 6ème – Réservation : 01 45 44 50 21 ou www.theatredepoche-montparnasse.com
Des militants partagent ici des critiques littéraires, musicales, cinématographiques ou encore des échos des dernières expositions mais aussi des informations sur les mobilisations des professionnels du secteur artistique.
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