De son avortement vécu à 23 ans alors qu’elle était étudiante, Annie Ernaux a fait un récit, écrit en 2000 alors qu’elle a soixante ans. En 1963 la loi interdisait l’avortement et pénalisait à la fois celles qui y recouraient et celles et ceux qui le pratiquaient.

Étudiante à Rouen, Annie Ernaux découvre qu’elle est enceinte. Comme bon nombre de jeunes femmes à l’époque, elle croyait un peu dans la méthode Ogino et surtout dans la capacité de leur partenaire à se maîtriser. Du médecin qui la félicite pour sa grossesse et, comprenant qu’elle est bien décidée à avorter, se contente de lui prescrire de la pénicilline, à la recherche fiévreuse d’une « faiseuse d’anges », de l’angoisse devant l’opération effectuée dans une arrière cuisine dans des conditions d’hygiène douteuses à la brutalité du curetage effectué à l’hôpital par des médecins dont le souci premier semble être de la culpabiliser, l’autrice ne masque rien de son parcours du combattant. Elle est décidée, ne veut pas devoir abandonner ses études pour devenir mère, sait qu’elle ne peut rien dire à ses parents, espère des informations de copains qui ne viendront pas. Quand elle raconte, à 60 ans, le verbe est précis, parfois brutal. Elle n’a rien oublié de la solitude, de la peur, de l’attente, de la douleur, de l’amie qui est restée auprès d’elle quand elle expulsait le fœtus et commençait à se vider de son sang, puis des humiliations à l’hôpital où une aide-soignante lui dit qu’elle aurait dû dire au médecin « qu’elle était comme lui », c’est à dire étudiante et non « petite ouvrière » ! Dans ce récit d’une expérience personnelle, elle n’oublie pas qu’avorter était le lot de bien des femmes, qu’elles le faisaient souvent dans des conditions sordides, excepté pour les plus fortunées et les plus informées, que cela retentissait souvent sur leur sexualité, les enfermant dans la peur et la honte.

Marianne Basler, qui avait déjà porté sur scène en 2021 un autre texte d’Annie Ernaux, L’autre fille, s’empare, avec pour seul décor une table et une chaise,de ce récit cru, sec, à la force qui frappe fort. Sa minceur, sa blondeur et sa silhouette vêtue de noir renvoient à l’autrice. Elle marche lentement, fuit parfois, en s’enfonçant dans l’ombre, la lumière qui sculpte son visage. Elle prononce distinctement chacun des mots qui témoignent de la dureté de l’épreuve infligée aux femmes dans une société engoncée dans un patriarcat rétrograde, mais aussi de la volonté de fer de l’autrice et de sa fierté de les avoir intégrés dans ce qui est sa vie, écrire. Son talent sublime la force du texte d’Annie Ernaux.

Alors qu’un certain nombre de pays remettent en question le droit à l’avortement et que les droits des femmes continuent à être bafoués, rappeler ce que fut l’horreur, à laquelle étaient confrontées celles qui avortaient dans la clandestinité, apparaît comme un acte courageux et nécessaire.

Micheline Rousselet

Jusqu’au 27 mars au Théâtre de l’Atelier, 1 place Charles Dullin, 75018 Paris – les mardis et mercredis à 19h – Réservations : 01 46 06 49 24 ou theatre-atelier.com

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