L’éternelle présence de Caubère sur les planches d’Avignon. Le fameux Théâtre du Chêne Noir a ouvert ses portes trois soirs de suite à la mule du Pape, mais aussi à la chèvre de Monsieur Seguin et à son loup. Tout un bestiaire d’Alphonse Daudet mais aussi ses gens, le curé de Cucugnan, Maître Cornille, Les Vieux, Bixiou et le berger amoureux platonique sous les Étoiles, et encore la diligence de Beaucaire et bien sûr le froid Mistral et la douce Tramontane ; les herbes folles et les tuiles, les ailes de moulin et les bruits de la campagne provençale, ses senteurs, ses paysages, ceux de la Camargue ou du Luberon, la bouillabaisse, les marins et leurs tempêtes… Caubère, bête de scène s’il en est, incarne tout, bêtes, gens, choses et éléments ; son « corps sans organe » comme dirait Deleuze, lui permet de devenir tous les corps jusqu’aux chemins de Provence avec leurs cailloux ; les chemins de sa Provence. Caubère prend un plaisir charnel à se plonger et nous avec lui, dans le pays de Daudet qui est aussi celui de Giono, de Pagnol, de Mistral.

Mais pourquoi le public applaudit tant ? Qu’aimons-nous dans ces Lettres que peut-être les moins de quarante ans ne peuvent pas connaître ? Notre enfance bien sûr, mais aussi le rêve perdu d’une campagne brute, rugueuse mais rieuse, naïve mais si humaine, une campagne sans TGV, des villages sans Airbnb. Ce qu’on aime surtout c’est la manière décomplexée de Caubère d’envahir un plateau de théâtre et d’y faire voir et entendre mille choses par le seul truchement de sa parole, de sa présence, de son jeu – « jeu » aux deux sens du mot, car il s’amuse à jouer et joue à nous amuser y compris dans ses trous de mémoire feints ou réels, qu’une souffleuse du premier rang en la personne de Véronique Coquet, aide à combler sur demande et sans dissimulation.

Caubère, combien de textes au compteur ? Ce conteur pas seulement provençal ne compte plus les salles ni les scènes où sa faconde a rayonné. Il se met lui-même en scène mais n’est pas si seul à la création. Mathieu Faedda assure la direction technique et la lumière ; Michel Dussarat s’occupe du costume sur lequel intervient pour la couture Marie-Claire Ingaro et, comme rien n’est laissé au hasard, Caubère fait appel à une conseillère en langue provençale en la personne de Marie-Charlotte Chamoux. Et puis, il y a aussi le public, en masse et en écoute, en apnée presque, et avec les effets d’euphorie !

Mais puisqu’on l’aime l’entendre, laissons parler l’artiste : « Jouer les Lettres de mon moulin comme si c’était moi qui les avais pensées, imaginées. Comme si je m’en étais souvenu. Comme si je les avais vécues. (…) En définitive, la seule chose qui m’a vraiment motivé, c’est l’envie de m’amuser et d’amuser les autres, petits et grands. Et si possible, de les toucher. À part une autre, plus particulière et personnelle : après l’Adieu à Ferdinand, je savais qu’un vide se ferait sentir et qu’il me faudrait quelque chose de fort pour ne pas y sombrer. Une chose qui me ramène à l’enfance, la mienne comme celle de tout le monde. L’enfance de l’art aussi. Voilà, juste ça : des histoires, des paysages, des personnages, des accents. Et un pays. Le mien : la Provence. »

En physique, le vide est un milieu sans matière mais où s’exerce un champ électromagnétique. Dans le théâtre, le vide appelle la création et avec Caubère le champ électromagnétique se produit entre la scène et la salle, entre l’artiste et nous.

Jean-Pierre Haddad

Les lettres de mon moulin, Théâtre du Chêne Noir, 8 rue Sainte-Catherine, 84000 Avignon. Le 16 novembre 2023 : La Chèvre (Installation, La diligence de Beaucaire, Le secret de Maître Cornille, La chèvre de Monsieur Seguin, L’Arlésienne, La légende de l’homme à la cervelle d’or, Le curé de Cucugnan, Le poète Mistral) ; le 17 : la Mule (La mule du Pape, Les deux auberges, Les trois messes basses, L’élixir du révérend père Gaucher, Nostalgie de casernes) ; le 19 : Les Étoiles (Le phare des Sanguinaires, L’Agonie de « La Sémillante », Les vieux, Le portefeuille de Bixiou, En Camargue et Les Étoile).

Tournée : Les Étoiles à la Maison de Pays, 128 Promenade de la Digue, Nyons 26110, dans le cadre de Nyons en scène, le 27 janvier 2024 à 20h30


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