Mathieu Coblenz, le metteur en scène, voulait à l’origine mêler des extraits de textes d’ Autour d’un effort de mémoire de Dionys Mascolo , de La Douleur de Marguerite Duras et de L’Espèce humaine de Robert Antelme. Il dit : « Le premier battement de cœur de notre spectacle, c’est la lecture de l’Espèce humaine de Robert Antelme, essai, poème, témoignage d’un homme déporté par les nazis dans un camp de travail, et qui en rapporte une pensée fondamentale, un évangile moderne, laïc et humaniste ». Mais n’ayant pas obtenu les droits pour porter au théâtre le livre d’Antelme, il a choisi de le remplacer par des extraits de L’Enfer de Treblinka de Vassili Grossman, journaliste et écrivain russe né en 2005 dans l’Ukraine actuelle. Il a été un des premiers à se rendre à Treblinka après la libération du camp. Il fait une description très réaliste de l’enfer des camps d’extermination et de la solution finale. Malgré tout, « ce premier battement» est resté avec le titre du spectacle.

Ce tissage très réussi des trois textes par Mathieu Coblentz accompagné à la dramaturgie par Marion Canelas se reflète dans la très belle mise en espace et dans le décor vertical construit par les ateliers du TNP : côté jardin, le bureau de Dionys Mascolo , côté cour surélevé l’appartement du couple Duras – Antelme et au centre à la hauteur de la scène l’enfer du camp et au-dessus, surplombant le tout les musiciens. Jo Zeugma au piano et à la voix et Vianney Ledieu, chant , violon et alto, font entendre des extraits du requiem de Mozart avec les arrangements de Simon Denis. Les lumières en clair obscur de Victor Arancio baignent la scène dans une atmosphère d’instabilité entre chaos et espérance de vie.

Dionys Mascolo (Florent Chapelière) raconte son entrée dans la résistance en septembre 1943 avec Robert Antelme, l’arrestation de Robert en 44 et son rapatriement en 4CV à la libération. Duras (Camille Voitellier) dit sa douleur, son attente, le retour inespéré de Robert à Paris et sa longue et périlleuse renaissance. Grossman (Mathieu Alexandre) rapporte l’enfer de Treblinka, les corps dépouillés de tout, la marche des corps nus vers les chambres à gaz, les corps brûlés jetés dans les fosses et l’horreur révélée lorsqu’il découvre sous ses pieds le contenu répandu d’un sac de cheveux dans «les cosses de lupin et les graines qui tombent et sonnent sous les pas comme le glas d’un nombre infini de petites cloches ». L’inimaginable est donc vrai. Les trois comédiens jouent chacun leur partition différente avec brio : Mathieu Alexandre témoin précis, sidéré et horrifié par ce qu’il découvre, Camille Voitellier dans la douleur et l’émotion qui sur le plancher inclinable de son appartement résiste à l’effondrement et Florent Chapelière dans l’action et l’amitié.

Au fur et à mesure, les espaces vont se rejoindre. L’apparition de la 4CV, vecteur de libération du camp et de la parole d’Antelme, réunit les amis. L’amitié est plus forte que l’horreur.

Avec ce spectacle puissant et émouvant et à l’heure où les derniers survivants disparaissent, Mathieu Coblentz rappelle la nécessité de ne pas oublier pour éviter que l’enfer ne se reproduise. Toute tentative de hiérarchisation entre êtres humains, de division en catégories, en classes, en races est une folie qui conduit à l’inimaginable. Il n’y a qu’une seule espèce humaine.

Frédérique Moujart

Du 1er au 3 février à 20h, le 4 à 18h et le 5 à 16h au Théâtre des Quartiers d’Ivry, Manufacture des Oeillets- 1 place Pierre Gosnat à Ivry-sur-Seine- Réservation : 01 43 90 11 11 ou www.theatre-quartiers-ivry.com. Tournée 2023 : Le 10 févrierau Théâtre André Malraux, Chevilly-Larue ; le 1er et 2 mars, Théâtre de Cornouaille, scène nationale de Quimper ; le 9 et 10 mars, Le Canal – Théâtre du pays de Redon ; le 23 mars, Centre culturel Jacques Duhamel, Vitré ; le 20 avril, Espace Marcel Carné, Saint-Michel-sur-Orge

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