C’est la Kos, la plus grande entreprise de la région qui fait vivre Raussel petite ville de l’Est de la France. Lorsqu’il y a eu une inondation, ce sont les ouvriers qui se sont mobilisés pour sauver l’entreprise du désastre. La vie est dure pour ces ouvriers comme Rudi et Dallas, obligés de compléter leur salaire par des petits boulots qui, tout comme les horaires décalés, mangent leur vie de couple. Et voilà que les actionnaires étrangers ont jugé la rentabilité de l’entreprise insuffisante et exigent une restructuration impliquant de lourds licenciements. Le directeur Format se soumet et décide les licenciements en tentant de créer la division entre les salariés. Certains se font complice au nom du principe de réalisme tandis que d’autres refusent de devenir des jaunes. Le séisme bouscule les familles et les relations amicales. Le suicide de Lorquin, vieil ouvrier symbole de l’usine qu’il a contribué à sauver et que la direction a sacrifié, soulève la colère de tous. La grève démarre et les ouvriers décident de faire sauter les machines. L’intervention des CRS fera deux morts et entraînera l’incarcération de Rudi.

On reconnaît la trame du roman éponyme de Gérard Mordillat publié en 2004, adapté en série pour la télévision en 2010 et dont il a décidé de faire un spectacle de théâtre musical. Huit comédiens dont deux musiciens font avancer l’action dramatique alternant textes (Gérard Mordillat) et musique (Hugues Tabar-Nouval). Un chœur vêtu de noir, issu de chaque ville où se joue le spectacle, se tient derrière les comédiens les appuyant de la voix tel le collectif des travailleurs. Les parties chantées (paroles de François Morel) expriment l’amour, la fierté ouvrière, la révolte, la peur de la solitude. Ainsi Dallas chante « Je ne veux pas qu’on me restructure, qu’on me délocalise ». Lorquin chante ses mains, des mains d’ouvriers, d’amoureux aussi « des mains qui ressemblent à la dignité ». L’actionnaire à l’accent allemand, qui veut qu’on frappe vite et fort avant Noël, se voit relayé par le chœur chantant Mon beau sapin en allemand.

La mise en scène de Gérard Mordillat fait de la place à l’humour. Les cadres, tailleurs et talons hauts pour les femmes, costumes pour les hommes, dossiers sous le bras, passent en trottinant, telles des petites souris apeurées et dociles. Elle donne aussi toute sa place au drame, nuage de parapluies et lampes frontales lors de l’inondation, bruits de sirènes de voitures de police, cris des grévistes détonation des grenades lors de l’assaut des CRS. Et lorsque s’élève Tremblez les actionnaires, on a voté la grève, chanté par les acteurs poing levé à l’avant de la scène et épaulés par le chœur derrière eux, le public frissonne.

Les héros de la pièce sont incontestablement Rudi, interprété avec force par Günther Vanseveren, et Dallas, jouée par Lucile Mennelet, qui apparaît comme une vraie héroïne à la fois amoureuse et battante dans la lutte, intelligente et sensible à la fois. Tous autour d’eux remplissent bien leur rôle, Esther Bastendorff en Mickie, la syndicaliste amoureuse de Rudi, Patrice Valota en Lorquin le vieil ouvrier sacrifié (mais aussi l’avide capitaliste allemand !), Camille Demoures, aussi musicienne, est Varda, la compagne de Serge qui acceptera de passer du côté de la maîtrise pour sauver son emploi (Hugues Tabar-Nouval, aussi musicien et compositeur de la musique). Enfin Benjamin Wangermée est Format, le directeur chargé des charrettes qui finira aussi licencié, et Odile Conseil une journaliste dont le commentaire sur la grève a l’ambiguïté que l’on connaît bien dans nos media.

Vingt ans après, le livre n’a rien perdu de son actualité, au contraire. Il fait entendre la colère contre l’injustice et l’arbitraire de ceux qui sont toujours seuls à payer.

Micheline Rousselet

Jusqu’au 26 février au Théâtre du Rond-Point, 2bis avenue Franklin Roosevelt, 75008 Paris – du mardi au samedi à 20h30, dimanche 26 à 15h30, relâche les 19 et 20 février – Réservations : 01 44 95 98 21 ou theatredurondpoint.fr

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