En 1914, Eugène un beau jeune homme s’engage et part à la guerre, persuadé que la victoire sera rapide. Dans les tranchées il résiste au découragement en pensant à celle qu’il a à peine eu le temps de connaître, une jeune actrice Blanche, jusqu’au jour où un obus lui emporte une grande partie du visage. Transporté au Val de Grâce comme toutes les Gueules Cassées, il est pris en charge par une infirmière qui tente de le raccrocher à la vie. Mais comment vivre quand on a perdu son visage ? Perdre son visage n’est-ce pas perdre son identité ? Dans ce lieu où tout miroir est proscrit, où l’on tente même d’éviter tout reflet qui pourrait révéler ces visages devenus monstrueux, Eugène va rencontrer Sarah Bernhardt. Elle, qui a été amputée, va l’encourager, lui dont la mâchoire est détruite et qui n’a plus de nez, à jouer Cyrano de Bergerac pour le théâtre aux Armées et à trouver le courage de vivre.
Aïda Asgharzadeh, qui joue aussi dans la pièce, a imaginé ce très beau texte plein d’émotion. On y entend la douleur de ceux qui ont perdu leur visage, qui suscitent l’horreur même de leurs proches, qui subissent la souffrance des tentatives souvent ratées de reconstruction, qui perdent l’espoir d’être aimé par une femme et ne trouvent un peu de réconfort que dans l’accoutumance à la morphine. C’est en lui faisant troquer sa prothèse contre un masque de scène, celui de Cyrano, que Sarah Bernhardt poussera Eugène à découvrir que le théâtre lui permet d’être un autre, de connaître d’autres passions et de vivre tout simplement.
La scénographie de Quentin Defalt utilise des voiles de tulle blanc pour nous faire passer d’un espace à l’autre en quelques secondes. Un banc, Eugène avec son fusil, une lumière éblouissante, le bruit d’un obus qui explose et l’on est dans les tranchées, un lit d’hôpital, Eugène qui geint, qui crie et se débat face à son infirmière et l’on est passé au Val de Grâce, un bureau, une femme avec un bouquet de fleurs et l’on est dans les coulisses de la Comédie Française. La musique de Stéphane Corbin nous plonge dans ces ambiances différentes. C’est un découpage très cinématographique qui permet d’enchaîner les scènes très rapidement, d’autant plus que les costumes se transforment aisément, permettant aux quatre acteurs d’interpréter toute une gamme de personnages. Le sang tâche les manches rappelant l’omniprésence de cette boucherie que fut la guerre de 1914. Benjamin Brenière, grâce à un gros travail de maquillage devient une Gueule Cassée. C’est un rôle difficile qu’il réussit bien, transformant Eugène, beau jeune homme insolent, en un être brisé, souffrant, révolté et impuissant qui finit par arriver à trouver un peu de souffle pour vivre. Aïda Asgharzadeh est Blanche, l’amoureuse qui n’a pu qu’oublier ce jeune homme à peine connu, et Sylvie, l’infirmière qui avec ses pauvres mots – mais d’autres sont-ils possibles – travaille avec passion pour ramener Eugène vers la vie.
La Grande Guerre n’a pas fait que remplir les listes interminables qui s’inscrivent sur les Monuments aux Morts des villes de France, elle a laissé des vies brisées, des désespoirs sans fonds. Pourtant la pièce ne s’arrête pas là. Elle offre une belle leçon de vie et d’espoir, c’est dans le théâtre qu’elle nous la fait trouver et on en sort bouleversé.
Micheline Rousselet
Du mardi au samedi à 20h45
Théâtre de La Reine Blanche
2 bis passage Ruelle, 75018 Paris
Réservations : 01 40 05 06 96
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